Quand l’art contemporain s’empare des monuments mémoriels

Comment les artistes d’aujourd’hui s’approprient-ils les monuments mémoriels ou, pour reprendre la vocable de l’autrice, Anne Bernou, quelles « stratégies » emploient-ils pour faire œuvre ? Il n’y a évidemment pas de réponse unique à cette interrogation, les moyens d’expression (installation, photographie, sculpture..) étant multiples, comme les types de monuments mémoriels. L’historienne a classé ces derniers en cinq catégories : bunkers, édifices publics ou oblitérés, monuments du monde soviétique, monuments de l’ère coloniale et monuments aux morts. Et pour chacune de ces catégories, l’autrice a sélectionné entre six et neuf œuvres qu’elle a préféré décrire individuellement plutôt que de tenter l’exercice impossible d’une rédaction commune qui les réunirait dans leurs différences et similitudes.

Ce qui caractérise cependant ces œuvres, c’est le long travail documentaire préparatoire à leur réalisation. Parfois c’est ce travail lui-même qui est l’œuvre, comme les photographies et documents d’archives des églises orthodoxes de Bucarest déplacées (oui, déplacées physiquement !) sous la dictature communiste de Ceausescu. Ou comme l’enquête de l’artiste algérienne Amina Menia sur le Monuments aux martyrs de Paul Landowski érigé en 1928 à Alger, recouvert par une chape de ciment en 1978, ce qui a pour effet de constituer en quelque sorte une nouvelle œuvre. À cet égard, l’ouvrage est tout autant intéressant pour les « stratégies » employées par les artistes que pour l’histoire des monuments. Anne Bernou met un point d’honneur à décrire minutieusement les unes et les autres, dans un esprit universitaire, tout en veillant à rester lisible et éviter le jargon hélas trop fréquent dans ce type de publication. Sous une couverture austère, l’ouvrage est un aussi un bel objet par la qualité de son papier et des reproductions. Il y a là un corpus pertinent d’œuvres pour qui veut prendre la mesure d’une forme très particulière d’art engagé, dans une zone géographique européenne et postcoloniale.