Vitra publie deux sommes consacrées à ces créateurs phares du XXe siècle, catalogues d’expositions que la société fait actuellement circuler en Europe.
À quelques mois d’intervalle paraissent, édités par le Vitra Design Museum, à Weil-am-Rhein (en Allemagne), deux livres sur deux figures du design du XXe siècle : le Français Jean Prouvé (1901-1984) et l’Italien Joe Colombo (1930-1971). Ces ouvrages font office de catalogue pour deux expositions montées par ledit musée, « Jean Prouvé, La poétique de l’objet technique » et « Joe Colombo, Inventing The Future ». Celles-ci « tournent » aujourd’hui de par le monde, sans pour l’heure avoir envisagé d’escale en France. Dommage !
Le premier ouvrage, sur Jean Prouvé, est une somme. Pas moins de quarante-deux auteurs – un record dans le genre – décortiquent en profondeur le vocabulaire de cet « explorateur de la pensée technique ». Un champ vaste. D’autant que l’intéressé tient à marquer sa différence : il n’est ni architecte, ni ingénieur, mais plus exactement, « homme d’usine ». Un terme qui « fait clairement référence au choix du constructeur Prouvé qui, tout en ayant choisi de produire pour le bâtiment et de collaborer avec les architectes, s’identifie à la pensée technico-scientifique qui sous-tend l’industrie, et non à l’imaginaire technique de l’architecte », estime Bruno Reichlin, codirecteur de l’ouvrage. « Penser par synergies, par transferts conceptuels et analogies, par systèmes (d’assemblage), par processus (de fabrication et de montage), évaluer le potentiel des machines dont on dispose, concevoir les outils en même temps que les produits, ausculter le potentiel des divers matériaux disponibles tout en anticipant sur les matériaux futurs, voilà en quoi consiste la pensée technique en action », précise Reichlin. Dit comme cela, on se demande bien d’où pourrait jaillir la poésie annoncée en titre. Et pourtant…
Celle-ci émerge d’abord d’un étrange alphabet, sorte de bestiaire de métal qui augmente au fur et à mesure des projets : coque, voûte, portique, béquille, tabouret… Elle provient ensuite de cette jubilation qu’éprouve Prouvé dans l’acte de « faire », dans la qualité extrême qu’il porte aux détails. En témoignent, côté mobilier, le pupitre scolaire à une place ou la bergère d’amphithéâtre, et, côté architecture, moult photographies de chantier : l’élégante façade de la tour Nobel, la structure en tôle pliée de la maison du peuple de Clichy, le Pavillon du Centenaire de l’aluminium, à Paris, la maison tropicale ou sa propre demeure, à Nancy. La poésie sourd enfin de la formidable et exceptionnelle maîtrise de Prouvé pour le dessin. Le livre est truffé de merveilleux croquis à main levée. Assemblages d’éléments d’architecture ou de mobilier, carrosseries d’automobiles, voire cabines de téléphérique et machines volantes, ces esquisses firent, entre autres, le bonheur des auditeurs du Centre national des arts et métiers, à Paris, où Prouvé dispensa des cours entre 1958 et 1970.
Colombo, le mythe
Le livre sur Joe Colombo, lui, est édité en anglais et en collaboration avec la Triennale de Milan, qui a accueilli l’an passé l’exposition Colombo citée plus haut. Il arbore en couverture le mythe Colombo : collier de barbe ciselé, costume-cravate et pipe au bec, l’homme est confortablement installé dans un fauteuil Elda, le siège le plus emblématique du designer transalpin, série de boudins de cuir orange sur une coque enveloppante blanche en fibre de verre. Qu’il s’agisse d’objets – montre, appareil photo, chaise longue, meuble de rangement… – ou d’aménagements intérieurs, Joe Colombo flirte franchement avec l’esthétique pop des Sixties. Au fil des pages, on comprend immédiatement l’importance de son œuvre, source d’inspiration, parfois trop littérale, de nombre de designers actuels. Dans de courts mais passionnants entretiens, quelques acteurs du design italien – le rédacteur en chef de la revue Ottagono, Aldo Colonetti, le théoricien Gillo Dorfles, le galeriste Arturo Schwarz, les designers Ettore Sottsass et Alessandro Mendini – évoquent « leur » Joe Colombo. Son projet phare est sans doute la Total Furnishing Unit, un bloc compact comprenant la cuisine, la salle de bains et la chambre, ensemble commandé par le MoMA [Museum of Modern Art] de New York pour son exposition « Italy : The New Domestic Landscape », en 1972. Colombo ne le verra malheureusement jamais achevé : il meurt d’une attaque cardiaque le jour de ses 41 ans.
Selon Vitra, l’exposition sur Joe Colombo pourrait venir à Paris en 2007. Peut-être une bonne occasion de voir ce catalogue traduit en français !
- JEAN PROUVÉ, LA POÉTIQUE DE L’OBJET TECHNIQUE, éd. Vitra Design Museum, 2006, 392 pages, 89 euros, ISBN 3-931936-55-4. - JOE COLOMBO, éd. Vitra Design Museum/La Triennale di Milano, 2005, 304 p., en anglais, 57 euros, ISBN 3-931936-58-9.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Prouvé et Colombo, as du design moderne
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : Prouvé et Colombo, as du design moderne