« L’Artiste et son modèle » de Fernando Trueba s’inspire librement de l’histoire d’Aristide Maillol et sa muse Dina Vierny.
Au début des années 1930, à Paris, Aristide Maillol remarque une jeune fille de quinze ans débarquée quelques années plus tôt de sa Moldavie natale. Dina Vierny accepte sans sourciller de poser pour le sculpteur alors âgé de soixante-treize ans et jouissant d’une belle renommée. La suite est connue : leur collaboration durera une dizaine d’années, jusqu’au décès de l’artiste d’origine catalane en 1944. La jeune femme travaillera sans relâche pour porter l’œuvre de l’artiste, allant jusqu’à créer une fondation et ouvrir un musée à son nom à Paris en 1995. Le réalisateur espagnol Fernando Trueba (Belle Époque, 1992 ; Le Bal de la victoire, 2009) s’est librement inspiré de cette rencontre artistique pour nourrir son dernier long-métrage, qu’il décrit comme une « variation cinématographique » d’un sujet fréquent de l’art moderne. L’histoire de L’artiste et son modèle prend vie pendant l’été 1943, en Catalogne française. Sur la place du marché de Céret, Léa Cros (Claudia Cardinale) remarque Mercè, une jeune femme échappée des camps de réfugiés d’Argelès-sur-mer. Recueillie au domicile des Cros, la jeune Espagnole (Aida Folch) accepte de poser pour Marc Cros (Jean Rochefort), vieux sculpteur dont elle ne connaît pas l’importance, contre l’assurance d’être nourrie, logée et blanchie. Abattue par l’actualité politique, le vieil homme sort de sa torpeur créatrice et s’attelle à la réalisation de sa dernière grande œuvre.
L’approche esthétique d’un sculpteur
Il ne s’agit en aucun cas d’un biopic. Certes, comme Dina Vierny, Merce guide des résistants à travers les bois pour atteindre la frontière espagnole. Mais les similitudes s’arrêtent là. Les historiens de l’art grinceront même des dents en découvrant que la fameuse dernière grande œuvre de Marc Cros n’est autre que La Méditerranée, dont une version en bronze orne aujourd’hui la tombe d’Aristide Maillol à Banyuls-sur-Mer et qui date… de 1905 – Henri Matisse avait notamment aidé Maillol à en réaliser le plâtre. Auteur d’un court-métrage sur Eduardo Chillida et frère du sculpteur Máximo Trueba (mort en 1996) auquel le film est dédié, Fernando Trueba s’attache à décrire la sensualité de la recherche plastique, le travail périphérique menant au chef-d’œuvre qui, lui, ne doit montrer aucune trace d’effort et doit sembler être une « émanation directe de la nature ». En choisissant le noir et blanc, en référence aux clichés des ateliers de Brassaï, Giacometti et Picasso, mais aussi à Cartier-Bresson, le réalisateur se prive des couleurs de la nature catalane ensoleillée pour être en parfaite adéquation avec son sujet : la sculpture des corps, vivants, dessinés, en argile ou en plâtre, prend toute sa dimension dans les contrastes. Le réalisateur multiplie les gros plans sur la chair et ses reliefs, à la manière d’un photographe pictorialiste. Ce travail rapproché est sublimé par le soin particulier apporté au son, riche en bruissements et soupirs – la musique ayant été complètement bannie du film, à l’exception du générique de fin.
Malgré cette belle recherche esthétique, le film ne fait pas l’économie de clichés – l’officier nazi historien de l’art et grand admirateur de Cros ; la jeune affamée qui n’a pas assez de mains pour se gaver de pain tout en ingurgitant bruyamment sa soupe… Mais, s’il n’est pas forcément crédible en tant que sculpteur, Jean Rochefort sait exprimer la fatigue d’un homme las d’être le témoin d’une seconde guerre mondiale.
D’autres artistes viennent faire leur apparition avec plus ou moins de discrétion : Jean Renoir, dont Le Déjeuner sur l’herbe hante la scène où le modèle interrompt la longue séance de pose dans une crique pour nager ; et Rembrandt, auquel est consacrée la plus belle scène du film. Fernando Trueba fait ici revivre un échange qu’il a eu avec le peintre David Hockney : tenant entre ses doigts une carte postale, Marc explique à la jeune Mercè en quoi ce simple dessin à la plume du maître hollandais est un chef-d’œuvre. D’abord décontenancée, la jeune femme s’engouffre dans la brèche ouverte par le sculpteur et leur échange signe alors l’un des rares moments de connivence entre deux êtres que seul l’art a su rapprocher.
Ecrit et réalisé par Fernando Trueba, coécrit par Jean-Claude Carrière, avec Jean Rochefort, Claudia Cardinale, Aida Folch, 1h45, distribué par BAC Films, sorti le 13 mars.
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Pas de deux en Catalogne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : Pas de deux en Catalogne