Historienne reconnue dans le monde entier, femme engagée, Michelle Perrot publie au Seuil un livre sur la maison de George Sand à Nohant.
Michelle Perrot : Ce lieu, je l’ai rencontré dans ma jeunesse. À l’époque, je n’aimais pas trop George Sand que je trouvais conservatrice ; en réalité, je l’avais peu lue et la mésestimais. La famille de mon époux habitait Châteauroux et c’est en visitant la région que j’ai découvert Nohant. Nous avons eu la chance de bénéficier de la guidance de sa petite-fille Aurore Lauth Sand en 1959, peu de temps avant son décès. Elle nous a reçus comme si nous étions des amis. À l’époque, il n’y avait évidemment pas de visite organisée, car il ne s’agissait pas d’un musée, mais d’une maison habitée par intermittence. C’était une sorte de cerisaie berrichonne, un lieu dont on ne savait pas vraiment ce qu’il allait devenir. Au fond, c’est ce lieu qui m’a attirée vers George Sand. En tant qu’historienne, j’ai eu par la suite souvent l’occasion de travailler avec et sur Sand. Par ailleurs, je suis très sensible aux lieux qui sont une cristallisation à la fois d’une personnalité, de son intimité, de ses amours, de ses relations. D’autant que, dans le cas de Sand, elle-même y était sensible. Donc elle écrit souvent sur ce lieu, elle y travaille et le transforme beaucoup. Pour écrire ce livre, j’ai exploité son extraordinaire correspondance ainsi que ses agendas. C’est Alexandre Manceau qui a été son majordome, puis son amant et son dernier amour, qui lui avait conseillé de tenir des agendas, afin d'y consigner sa vie quotidienne, les gens qu’elle a reçus, les livres qu’elle a lus, mais aussi les travaux entrepris. Ils constituent donc une mine d’informations pour connaître Nohant.
C’est une demeure dont elle a héritée de sa grand-mère Marie-Aurore de Saxe, une femme des Lumières qui a adhéré à la Révolution française et qui a acheté la maison durant les ventes révolutionnaires, alors que les aristocrates fuyaient majoritairement le pays. Le père de la future George étant mort d’un accident de cheval près de Nohant, la petite fille est arrivée ici à quatre ans pour être élevée par sa grand-mère. Elle y a reçu une éducation très libre et joyeuse ainsi qu’une éducation intellectuelle très forte, pas du tout comme celle que l’on dispensait alors aux filles. Une fois adulte, elle ne pensait d’abord pas faire sa vie ici, car elle a beaucoup aimé Paris qui l’a faite. Cependant, elle s’est rendu compte qu’elle était restée attachée à sa terre, elle disait d’ailleurs : « Je suis un paysan. » C’est pour cela qu’elle a voulu revenir ici et qu’elle s’est battue pour être sûre de récupérer la possession de Nohant après son divorce. Une fois qu’elle a récupéré son bien, elle a décidé d’y habiter en partageant son temps entre Paris et Nohant et de faire quelque chose de cette maison.
Très rapidement, elle a décidé d’en faire un lieu où elle recevrait ses amis et une maison d’artiste, car c’est la seule identité qu’elle se reconnaissait vraiment. Elle voulait qu’elle devienne une petite colonie, un phalanstère. Donc la maison a été conçue pour cela, transformée pour cela, c’est pourquoi elle était toujours en travaux. Au départ, c’était un bâtiment avec de grandes pièces qu'elle a transformées pour créer beaucoup de chambres. Et bien sûr des ateliers qui ont notamment été utilisés par son fils Maurice, ainsi que par Delacroix qu’elle a souvent reçu ici, mais aussi Théodore Rousseau, et son amant Manceau qui était graveur. La musique tenait également une place fondamentale, car pour Sand c’était l’art suprême. Les premiers qui ont inauguré la maison sont ainsi Franz Liszt et Marie d’Agoult. Suivis par Chopin avec qui Sand a vécu neuf ans dont sept étés passés à Nohant. La maison a aussi été un atelier d’écriture fréquenté par Théophile Gautier, Alexandre Dumas fils, Flaubert et Tourgueniev. Un petit théâtre y a même été aménagé.
Delacroix y a notamment peint plusieurs tableaux, dont L'Éducation de la Vierge et de nombreux bouquets de fleurs composés par Sand. Le jardin était en effet une de ses passions et elle a beaucoup travaillé à son aménagement. Elle en a fait une sorte de jardin à l’anglaise mâtiné de jardin berrichon et y a acclimaté beaucoup de fleurs nouvelles, envoyées notamment de l’étranger par des amis en voyage, ainsi que des plantes offertes par Geoffroy Saint-Hilaire, qui la voyait comme sa muse.
Absolument, cela coûte cher d’entretenir une maison, un parc de cinq hectares, de recevoir gracieusement et fréquemment des amis et d’avoir en permanence une domesticité. Au départ, elle pensait que ses deux cents hectares de terre pourraient entretenir la maison, mais elle s’est aperçue que cela ne rapportait pas suffisamment d’argent et qu’il lui faudrait travailler davantage pour faire vivre ce rêve de phalanstère. Bien sûr, elle n’a pas écrit uniquement pour cela, mais cela l’a probablement amenée à écrire plus qu’elle ne l’aurait fait s’il n’y avait pas eu cette obligation. D’ailleurs, elle parle parfois du lieu comme du « boulet de Nohant ».
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Michelle Perrot : « À Nohant, George Sand voulait que sa maison devienne une colonie d’artistes »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : Michelle Perrot : "À Nohant, george Sand voulait que sa maison devienne une colonie d’artistes"