À côté de l’imposante exposition présentée au GuggenÂheim jusqu’au 12 mai, Mark Roskill retrace l’histoire de la peinture abstraite dans un volumineux ouvrage qui ouvre des pistes essentielles et pose d’importantes questions.
La vision de l’Abstraction qu’offre Mark Roskill s’impose pour plusieurs raisons. D’une part, par son côté "officiel", et d’autre part, par ses répercussions idéologiques. L’ouvrage paraît en effet dans le cadre d’une vaste exposition qui fera date, tant le panorama brossé recoupe une part essentielle de la création du XXe siècle. À ce niveau, le texte de Mark Roskill se révèle d’une impeccable concision. L’exposé est mené avec clarté et prend en compte la diversité des contextes historiques. Par son articulation comme par son iconographie, le livre restera une référence.
L’entreprise repose sur des bases et répond à des motivations, conscientes ou non, que l’on discutera. D’abord, l’auteur place sa perception de l’Abstraction dans le sillage de la critique de la modernité. L’Abstraction est présentée comme une rupture fondamentale jamais définie. En fait, l’auteur prend régulièrement pour synonyme abstraction et avant-garde. L’Abstraction apparaît par essence comme le langage de la modernité, un langage commun à toutes les avant-gardes, qui y puisent un signe de légitimité. Cette circularité, conditionnée par l’essentiel des travaux américains, se révèle singulièrement faible tant le fondement historique reste évasif. Mark Roskill ne s’intéresse pas à la chronologie des événements. On regrettera le caractère elliptique du chapitre consacré aux pionniers – essentiellement Kandinsky, Mondrian, Malevitch – qui ne rend pas compte de la diversité des acceptions que recouvre le terme "abstrait".
Pensée unique
Ainsi, la terminologie employée se révèle-t-elle d’autant plus pauvre que l’Abstraction déborde largement le champ de la peinture et se transforme au long des années vingt en un principe général.
Ce débat, qui va de la peinture abstraite au principe d’abstraction, Mark Roskill ne l’aborde pas pour rester strictement dans le registre des arts plastiques. Au chapitre 4, son exposé adopte une perspective qui fait de l’art américain de l’immédiat après-guerre l’héritier exclusif de la modernité. Ce schéma de pensée articule en fait l’ensemble de l’ouvrage ainsi que le choix des œuvres exposées au Guggenheim. L’histoire suit le chemin balisé du "triomphe de la peinture américaine" : Action Painting, Colorfield Painting, Hard Edge Painting, Néo-dadaïsme, Minimal Art, Art conceptuel, jusqu’au Land Art. La peinture européenne n’est sollicitée que lorsqu’elle adhère à ce parcours dominant : Klein s’impose dans la dimension minimaliste, Burri fait bonne figure aux côtés de Rauschenberg. Le ton est donné par les États-Unis, et les voies empruntées par l’Abstraction européenne n’ont droit de cité que si elles rentrent dans la norme. Ainsi sont absents l’expérience tachiste et informelle, tout comme la dimension expérimentale de Cobra ou le cheminement spiritualiste de l’Arte nucleare. La tradition européenne, qui affirme l’idée de geste dans une relation étroite avec l’écriture, n’est pas davantage prise en compte. Ignorés aussi les Américains qui, comme Cy Twombly, s’y intégreraient. Mark Roskill nous offre donc un ouvrage important et superbe, dont le seul défaut réside sans doute dans sa capacité à n’entrevoir qu’une pensée unique venue d’outre-Atlantique.
Mark Roskill, Abstraction in the Twentieth Century : Total Risk, Freedom, Discipline, Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 311 p., richement illustré. Diffusé par Abrams, environ 450 F.
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Mark Roskill, Abstraction in the Twentieth Century : Total Risk, Freedom, Discipline
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Mark Roskill, <em>Abstraction in the Twentieth Century : Total Risk, Freedom, Discipline</em>