Architecture

Maisons hors normes

Dix-huit propriétés emblématiques de Paris sont dévoilées par leurs propriétaires actuels

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2011 - 700 mots

Pour les maîtres d’œuvre – trop peu, hélas, tant ce marché leur échappe… –, la maison particulière est l’un des exercices architecturaux les plus passionnants.

Le livre, baptisé Maisons d’architectes à Paris. Visites privées, en dresse un panorama à travers dix-huit édifices emblématiques érigés pendant deux périodes distinctes : la première moitié du XXe siècle et la première décennie du siècle suivant. De la villa-manifeste du peintre Ozenfant (1923), signée Le Corbusier et Pierre Jeanneret, jusqu’à la maison particulière des architectes Virginie Artaud et Emmanuel Thirard (2009), toutes ces constructions sont auscultées selon le même principe : un texte descriptif du lieu, un entretien avec la ou le propriétaire et un reportage photographique intérieur et extérieur. S’ajoute, en fin d’ouvrage, un chapitre intitulé « Cahier technique » qui réunit images d’archives, maquettes et autres plans.

La bonne idée est d’avoir mis en scène les habitants. Chaque maison est non pas contée « de l’extérieur » par le prisme savant d’un expert ès architecture, mais au contraire « de l’intérieur », par ses propres utilisateurs, dans leur vie quotidienne et domestique. On entre ainsi littéralement dans l’intimité des lieux. Pas étonnant donc si certains propriétaires ont souhaité conserver leur anonymat. Pour l’heure, les réalisations contemporaines ont évidemment moins d’impact que leurs mythiques aînées, même si certaines laissent néanmoins songeur, telle la demeure de Monsieur C. réalisée par Tomoko Anyoji et Yannick Beltrando : 177 m2 habitables, certes scindés en deux entités pour cause de contraintes d’occupation du sol, mais situés sur la fameuse butte Montmartre, à Paris, au cœur, luxe suprême, d’un « espace vert protégé ».

Ferveur et émotion
L’ouvrage séduit notamment lorsque se dévoile la genèse des projets. Monique Planeix (villa Planeix, Paris 13e) raconte ainsi comment son beau-père, Antonin Planeix, s’est entiché du pavillon de l’Esprit nouveau à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 et a pris sans attendre contact avec son auteur… Le Corbusier. « À cette époque, ce dernier n’avait pas encore beaucoup de clients, car il était considéré comme un peu fada. Il restait donc financièrement accessible. Mes beaux-parents ont fait construire cette maison qui détonnait dans un quartier où il n’y avait que des constructions très classiques. Elle passait pour une maison d’une grande originalité, assez invraisemblable », expose Monique Planeix. Respecter l’esthétique originelle, d’autant plus si elle est protégée au titre des monuments historiques, implique d’ailleurs un budget : « C’est très difficile d’entretenir une maison pareille, il faut faire du sur-mesure, solliciter des spécialistes et ça coûte beaucoup d’argent. »

Mais, comme le souligne Monsieur D., propriétaire de l’ex-maison-atelier du sculpteur Bachelet, construite par André Lurçat : « Quand on habite une maison hors normes, mieux vaut effectivement être bricoleur. » Autre astuce, si l’on possède un bien inscrit ou classé : l’ouvrir au public quarante jours par an, « ce qui offre des avantages fiscaux comme la déduction des travaux d’entretien et de restauration », selon Monsieur W., propriétaire, depuis une dizaine d’années, de l’ancienne maison-atelier des sculpteurs Jan et Joël Martel, édifiée entre 1926 et 1927 par Robert Mallet-Stevens et classée monument historique en 1990.

Nombreux sont les propriétaires qui parlent de leur acquisition avec ferveur, tel Monsieur W. justement : « Mallet-Stevens manipule les volumes, les emboîte les uns dans les autres, ce qui donne des ambiances très différentes selon l’endroit où l’on se trouve. L’acoustique est également remarquable. Mais, surtout, il y a de nombreux détails vraiment fascinants. Le vitrail de [Louis] Barillet dans la cage d’escalier, la porte de [Jean] Prouvé, c’est somptueux. » Propriétaire, depuis 1988, de la maison André-Bloc (1951), à Meudon (Hauts-de-Seine), la galeriste Natalie Seroussi évoque, elle, avec émoi son appropriation du lieu : « Pendant très longtemps, j’ai senti la présence d’André Bloc et je n’ai rien entrepris. Les espaces ne sont pas vraiment définis, l’extérieur et l’intérieur sont liés. La maison et le jardin ont été imaginés comme un espace unique. Ce n’est pas si simple d’habiter ici. » Ajoutant d’une formule pour le moins exquise : « J’ai mis quelques années à ce que la maison m’adopte. »

PIERRE-OLIVIER DESCHAMPS ET MARYSE QUINTON, MAISONS D’ARCHITECTES À PARIS. VISITES PRIVÉES, éd. La Martinière, 2010, 312 p., 50 euros, ISBN 978-2-7324-4055-2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Maisons hors normes

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