La recherche sur les harpes du Haut-Oubangi menée par Éric de Dampierre, sociologue et professeur émérite à l’université de Paris X, affirme le décalage entre la conception d’un univers esthétique - artefacts ou paroles – pour laquelle comptent le visible, le médiatique, la parole vaine, et celle d’un monde perdu, où l’esthétique des objets et des mots est un voile qu’il faut soulever pour atteindre la parole vraie.
La première partie de l’ouvrage porte sur l’esthétique zandé, dont la civilisation exalte l’individualité et la diversité des hommes, alors qu’habituellement, la réalisation des sculptures africaines laisse peu de place à l’individu et à son imagination, toute création étant normée et socialement codifiée.
Ainsi, les harpes zandé ne sont pas fabriquées par des sculpteurs, spécialistes dont la fonction serait de fournir à d’autres catégories sociales les instruments, mais c’est le joueur, sans formation préalable, qui, après avoir observé les autres, réalise lui-même l’objet.
Ces harpes sont des instruments complexes composés de bois, de cordes et de peau d’animal. Elles peuvent présenter au sommet du manche une petite tête humaine sculptée, dont une collection est visible au Musée de Tervuren.
Quant à la conception de l’esthétique zandé, elle définit un ensemble formé par le harpiste, l’instrument et sa voix, qui mène un effort désespéré pour chasser l’ombre de la parole vaine afin de lui substituer son contraire.
L’auteur montre ensuite comment les structures musicales correspondent à l’opposition de deux catégories donnant à comprendre les deux faces d’une même réalité sociale, pouvoir et autorité. L’entité homme-harpe-parole sculptée, dont l’activité herméneutique est la source vive de l’esthétique zandé, associée aux catégories musicales, forme un système de classification qui fonde la structure sociale de cette société sans écriture.
Si la tête sculptée sur le manche renforce la voix, elle explicite aussi l’autorité de la parole, celle de la harpe. Le jeu exprime une idée, un concept, un système de communication, dans lequel la parole vaine ne trouve aucune place.
Attendons la saison sèche, asseyons-nous et palabrons.
éric de dampierre, Une esthétique perdue, Presses de l’École normale supérieure, 240 p., 30 ill., 230 F.
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L’ombre de la parole vaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : L’ombre de la parole vaine