Une monographie dédiée à l’œuvre de l’architecte Louis Isidore Kahn dévoile ses projets, ses réalisations, moult dessins ou encore ses écrits.
On savait la vie de l’architecte américain Louis Isidore Kahn (1901-1974) romanesque. Davantage encore depuis le documentaire passionnant (My Architect) que lui avait consacré son fils Nathaniel en 2003 (Lire le JdA n°228, 6 janvier 2006). Ne manquait plus qu’une monographie à la hauteur de l’épopée professionnelle de ce fabuleux architecte, l’un des plus grands du XXe siècle. La voici ! Elle s’intitule sobrement Louis I. Kahn et se présente comme « la plus complète » à ce jour. C’est le cas puisqu’elle réunit pas moins de 230 projets, réalisés ou pas, œuvres personnelles ou partenariats, dont plus d’une trentaine n’avait pas encore été attribuée à l’architecte. Figurent évidemment en bonne place la bibliothèque Phillips d’Exeter (New Hampshire) ou le Kimbell Art Museum de Fort Worth (Texas), sans oublier ces deux chefs-d’œuvre que sont le Salk Institute for Biological Studies (La Jolla, Californie) et le Parlement de Dacca (Bangladesh). Chacune des réalisations majeures est décortiquée en trois temps par l’auteur, Robert McCarter, architecte et professeur d’architecture à l’Université de Floride : d’abord une analyse détaillée du projet, ensuite un examen des techniques et des matériaux utilisés, enfin une découverte in vivo de la construction. Outre l’abondance des photographies, on découvre aussi moult dessins au trait (240 en tout), dont ces magnifiques esquisses en couleurs et aux aplats acérés des pyramides de Gizeh (Égypte) ou du Campo de Sienne (Italie).
Troublante reconstitution
Un chapitre rassemble quelques-uns des écrits (remarquables) de Louis Isidore Kahn. Un autre, plutôt original, est consacré à ses projets non réalisés (Offrandes non construites), lesquels font l’objet d’étonnantes reconstitutions en 3D. Le lecteur verra ainsi l’intérieur de la synagogue Mikveh Israel, qui n’existe pas. Ce principe réjouira certainement l’étudiant en architecture, mais l’exercice est à double tranchant. Ces reconstitutions sont, en effet, si impeccables qu’elles sèment le trouble en regard des édifices réellement construits et posent question : le bâtiment achevé aurait-il effectivement été tel que celui « laissé en plans » ? Rien n’est moins sûr.
Kahn, somme toute, a peu construit et pourtant il a révolutionné l’architecture. En novembre 1960, dans une conférence diffusée par la radio Voice of America, il use d’une métaphore pour dire sa conception de l’architecture. Il raconte ainsi qu’un jour, un jeune architecte est venu se confier à lui en ces termes : « Je rêve d’espaces remplis de merveilles. D’espaces s’élevant et enveloppant de manière fluide, sans commencement ni fin, d’un matériau sans joints, blanc et or. Lorsque je trace la première ligne sur le papier pour capturer mon rêve, le rêve devient moindre ». Pour Kahn, cette question était la bonne, car cette compréhension de la déperdition portait sur deux de ses thèmes fétiches : « l’incommensurable » et « le mesurable ». Le premier concerne la perception intuitive, le second les moyens dont dispose l’architecte pour construire en son lieu et en son temps. La nature est mesurable. Pas le sentiment, ni le rêve. Selon Kahn, une œuvre architecturale doit partir de l’incommensurable, être réalisée avec des moyens de construction mesurables, puis, une fois achevée, permettre à ses occupants d’expérimenter l’incommensurable qui en est à l’origine. « Si Kahn transcenda les limites de son époque, écrit McCarter, ce fut parce qu’il comprit que l’incommensurable comme source d’inspiration trouve ses fondements dans la grande architecture du passé, tandis que les moyens mesurables dépendent des matériaux et des techniques de construction du présent. En mettant en œuvre et en transformant l’incommensurable et le mesurable au cours du projet, Kahn confère à ses bâtiments un caractère intemporel et à la fois contemporain ».
Louis Kahn, qui a toute sa vie mené en parallèle une activité d’enseignant à l’Université de Pennsylvanie, parle de l’architecture de l’intérieur, non de son apparence. Au lieu de la superficialité du « bel objet », il préfère s’attacher à l’expérience que suscite l’espace. Page 13, un portrait en noir et blanc de l’architecte le montre assis à son bureau, à Philadelphie, au début des années 1970. Derrière lui, par la fenêtre, on distingue un édifice classique dont un arc en ogive enveloppe sa tête telle l’auréole d’un saint. Un ange passe.
Ed. Phaidon, 2007, 512 p., 200 illustrations en couleurs et 130 en noir et blanc, 75 euros, ISBN 978-0-7148-9710-3.
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L’incommensurable et le mesurable
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : L’incommensurable et le mesurable