Chronique

L’image change de régime

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 28 février 2012 - 905 mots

Trois ouvrages, dont l’un cherche à être réédité, proposent leur définition de l’image, une réflexion nourrie notamment par la vidéo.

Les régimes instables changeants de l’image sont souvent au cœur du travail des artistes. Le titre de l’exposition du Centre Pompidou en 1990, « Passages de l’image », s’est fait paradigme qui considérait l’œuvre comme « le symptôme d’un certain état de l’image – saisi à travers ses passages », ainsi que le notaient Raymond Bellour, Catherine David et Christine van Asse, commissaires de l’exposition et préfaciers. L’idée d’image résiste, le discours sur l’image peine entre complexité et banalité. Nous la tenons mal, elle déborde ! Identifier une « essence » ? Forger une « ontologie » ? Dresser des catégories formelles ? Classifier par support, par genre ? La question finalement n’est pas tant celle d’un manque de fixité de définition, mais bien plus celle de sa transformation permanente, de sa nature proprement historique. Historique non pas seulement du fait de son appartenance au contexte de la culture, historique en lui-même, mais du fait de sa transformabilité propre, de ce qu’elle est contingente. C’est le mérite de la perspective ouverte par le travail de W.J.T. Mitchell, en particulier dans son What do pictures want ? (soit, s’il était traduit Que veulent les images ?), quand il prête à celles-ci une vie propre dans leur manière de signifier, en s’exerçant aux visual studies. Mitchell, loin de tout dogmatisme académique, précise bien que celles-ci ne constituent pas tant un corpus disciplinaire établi, mais un outil, un opérateur critique pour déconstruire ou dépasser les aveuglements de l’évidence et de la familiarité. « La vision en elle-même est invisible » (p. 337), dit encore l’essayiste américain. Si bien que même lorsque l’on s’intéresse à elle, c’est finalement bien souvent aux objets du regard que l’on revient. Aux catégories. À l’idée de médium, par exemple.

Donner du sens
Et réfléchir en terme de médium, de spécificités, de définition, c’est ce que l’on pourrait attendre d’un auteur connu comme spécialiste de la photographie, de la théorie de l’image, du cinéma. Philippe Dubois, chercheur universitaire, a beaucoup publié depuis 1983 dont son classique L’acte photographique, qui n’est cependant plus disponible. Son dernier volume, tout fraîchement publié par la petite mais très souvent bien inspirée maison belge, Yellow Now, est composé de quinze textes écrits entre 1981 et 2007 consacrés à la vidéo. Il part d’un constat paradoxal sinon provocateur : la vidéo, cela n’existe pas en soi. Dubois introduit ainsi le volume : « Je considère qu’il n’y a pas, malgré les facilités d’apparence qu’elle offre, de véritable spécificité en nature à «la vidéo». Aussi bien «la vidéo» comme image que «la vidéo»comme dispositif. (…) «La vidéo» n’est pas un objet (une chose en soi, un corps propre), elle est un état expérimental. Un état de l’image (en général). Un état image, c’est-à-dire une forme qui pense. La vidéo pense (ou permet de penser) ce que les images sont (ou font). Toutes les images. Et en particulier (…) les images du cinéma et les images de l’art » (p. 8). D’où ses titres et sous titre : « La question vidéo, entre cinéma et art contemporain ». Mais si l’on tire de ce volume ni détermination d’un genre, ni médium spécifique, on va voir opérer, en écho avec le cinéma (« le Monument cinéma ») dès les années 1970, des régimes d’image que la vidéo rend possible, avec Godard entre tous les autres jusqu’aux installations et au cinéma d’exposition, à Mark Lewis, à Pipilotti Rist, en passant par Wyn Geleynse et Victor Burgin. Le livre se concentre sur la production du sens. L’analyse critique s’intéresse aux conditions de la signification, avec des visées interprétatives, et non normatives. C’est ce qui rend le livre attachant, au-delà de ses mérites théoriques.

Cherche financement
Changeante image ? Glissons sur le plan de son économie, et en relation avec le livre, le livre d’art, bien sûr. Puisque la logique de marché s’en est aussi emparée. Au point que ce qui était possible en 1993 ne l’est plus aujourd’hui. C’est l’histoire d’un livre, épuisé depuis belle lurette et dont on attendait la réédition : elle est prête, écrite, mise en œuvre. Il s’agit de Land Art, de Gilles Tiberghien, ouvrage précieux pour croiser une approche historique – éclairée par la réflexion théorique comme par l’expérience des œuvres – et une documentation photographique sans équivalent par le nombre mais aussi par sa manière à accompagner, voire à précéder, le texte sur ce moment artistique remarquable. Seulement voilà : en vingt ans, profitant sans doute des effets de diffusion et de reconnaissance de l’édition initiale du livre, le coût des droits de reproduction demande un investissement plus lourd aujourd’hui avant de lancer l’impression. Alors, recourant à une plateforme en ligne nommée Crowdbooks, qui cherche à permettre le financement participatif de livre de photographie, l’éditeur tente par souscription et pré-achat de réunir le financement nécessaire : la souscription sera close vers le 25 mars. Chère image !

W.T.J. Mitchell, WHAT DO PICTURES WANT?, 2005, Chicago, The university of Chicago press, 382 p., broché $27.50 (21 € frais d’envoi), ISBN : 978-0-226-53248-6

Philippe Dubois, LA QUESTION VIDEO, Entre cinéma et art contemporain, 2012, Bruxelles, éditions Yellow Now, coll. Côté cinéma, 352 p., 37 €, ISBN : 978-2-87340-279-2

Gilles Tiberghien, LAND ART, à paraître en mai, Paris, édition Dominique Carré, 368 p. de 39 à 250 € selon le mode de souscription, http://www.crowdbooks.com/projects/land-art/show_details_new

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°364 du 2 mars 2012, avec le titre suivant : L’image change de régime

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