Cinéma

Le Royaume de Kensuké – Sortie le 7 février.

L’île de la page blanche

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 20 décembre 2023 - 508 mots

Au-delà de fable écologique, cet opus est surtout un très beau film d’animation... sur l’art du dessin. Réalisé par le duo Neil Boyd et Kirk Hendry, il a demandé deux ans de travail et la collaboration de 200 artistes.

Neil Boyle et Kirk Hendry, Le royaume de Kensuké, 2024. © Kensuke's Kingdom Limited / Melusine Productions SA / Le Pacte
Neil Boyle et Kirk Hendry, Le royaume de Kensuké, 2024.
© Kensuke's Kingdom Limited / Melusine Productions SA / Le Pacte

L’histoire commence par une tempête d’anthologie. Un petit bateau affronte des vagues immenses. Il tourneboule, monte, descend, s’enfonce et rejaillit des lames du Pacifique. À bord, la famille se claquemure dans la cabine en attendant l’accalmie. Et voilà que Michael, 11 ans, fait l’erreur de s’aventurer sur le pont. Sans hésiter, la mer l’avale aussitôt… pour mieux le recracher sur la plage d’une île déserte. Pas tout à fait. Dans ce coin de terre perdu, habite depuis des décennies un vieux soldat japonais qui, loin de tout, vit en harmonie avec la nature et les animaux. Adapté d’un célèbre roman pour la jeunesse de Michael Morpurgo, Le Royaume de Kensuké est un dessin animé qui peut se lire de multiples façons. Il s’agit tout d’abord d’un film écologique. Ce « royaume » minuscule se déploie comme un microcosme du « grand monde ». Kensuké ne survit sur son île que parce qu’il a appris à en prendre soin. Les réalisateurs, Neil Boyd et Kirk Hendry s’inscrivent aussi dans un genre connu : la robinsonnade. Cependant, contrairement à des classiques comme Sa Majesté des mouches ou, plus récemment, Sans Filtre, du Suédois Ruben Östlund, le Royaume de Kensuké enferme dans l’espace clos d’un îlot, des personnages qui ne vont pas s’affronter, mais parvenir à s’entendre. Le sort de ce monde fragile ne dépend que notre capacité à nous, les humains, à cohabiter sur la terre. Intervient, ici, un aspect moins immédiat de ce long-métrage : puisque Michael est anglais et le vieux soldat, japonais, ils n’ont aucun moyen de communiquer verbalement. Le Royaume de ­Kensuké devient alors un beau film dessiné… sur l’art.

Quand tout reste à inventer

Kensuké est en effet un artiste autant qu’un naufragé. Dans sa cabane, perché sur son arbre, il peint son passé ainsi que la nature qui l’entoure. C’est par le dessin qu’il parvient à dialoguer avec l’enfant et à lui raconter qui il est. Ses pinceaux sont fabriqués avec des bouts de bois bricolés. Ses couleurs naissent de fleurs écrasées. Le film lui-même est conçu dans un style artisanal, en 2D, avec un recours limité à l’infographie. Le Royaume de Kensuké a nécessité la collaboration de 200 artistes durant deux années. Chaque seconde de ce long-métrage ne contient pas moins de 12 dessins. Parmi ces plans, se glissent ceux de Kensuké lui-même. Ainsi, comme tout beau film d’animation, l’œuvre de Neil Boyd et Kirk Hendry nous pose la question de la nature de ce travail si particulier, situé à la frontière des arts plastiques et du cinéma. L’île déserte est la métaphore de l’art de l’animation lui-même. Une branche du septième art qui, contrairement à la prise de vue réelle, oblige le créateur à inventer son monde sur une page blanche. Et, tel un naufragé sur une plage de sable fin, repartir de zéro à chaque film.

À voir
« Le Royaume de Kensuké »,
film d’animation de Neil Boyle et Kirk Hendry, 1 h 24 min. Au cinéma le 7 février.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°771 du 1 janvier 2024, avec le titre suivant : L’île de la page blanche

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