Le bleu est exclu de la trinité verte, rouge et or des fêtes de Noël, mais cela n’empêche pas la couleur de nos champions du monde d’être la favorite des Occidentaux. La parution simultanée de deux livres consacrés à l’histoire de cette couleur prouve une fois de plus un succès qui n’a pourtant pas toujours été évident.
“C’est l’histoire d’un Schtroumpf qui tombe et qui se fait un bleu...” Étrangement, la plaisanterie ne figure dans aucun des deux ouvrages consacrés au bleu et parus à quelques semaines d’intervalle. Histoire du bleu pour l’un, Bleu, histoire d’une couleur, pour l’autre, les titres ont ici leur importance : le premier ouvrage, écrit par Frédérique Jacquemin, s’intéresse exclusivement au bleu dans l’histoire de l’art, l’autre, sous la plume de Michel Pastoureau, offre, dans les mêmes limites chronologiques (de l’Antiquité à nos jours), l’histoire d’une couleur. Sous forme de chapitres, Frédérique Jacquemin s’attache aux pouvoirs des pierres précieuses, à “la divine lumière des vitraux”, au bleu chez Chardin ou Cézanne, avant de sombrer dans une crise mystique sur Yves Klein “penseur du ciel, confident de l’outremer”. Quelques mois plus tôt, l’ouvrage aurait paru original. Les hasards du calendrier éditorial en ont décidé autrement, et la comparaison avec le livre de Michel Pastoureau est cruelle. Érudit, l’ouvrage de ce dernier ne s’encombre pas des travers de la critique d’art et prend soin de préciser sa méthode et les impératifs inhérents à son sujet, prévenant que “toute histoire des couleurs ne peut être qu’une histoire sociale”.
Apanage des barbares, peu aimé des Romains, le bleu a opéré une révolution discrète pour conquérir notre goût et nos habitudes. Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien se plaît à écrire que les meilleurs peintres réduisent leur palette au blanc, au jaune, au rouge et noir. Plusieurs savants du XIXe siècle ont même émis l’hypothèse que les Anciens ne percevaient pas le bleu, tant le lexique sur le sujet est imprécis. Dérivés du germanique et de l’arabe, blavus et azureus ont finalement été introduits dans la langue latine. “Promotion théologique et valorisation artistique au XIIe siècle, prouesse des teinturiers à partir du XIIIe siècle, primauté héraldique dès le milieu du XIVe, forte dimension morale avec la Réforme protestante”, le chemin accompli par le bleu en Occident entre l’Antiquité et le XVIIIe siècle sert de terreau à un renversement de situation qui s’accélère dans les deux derniers siècles. L’occasion pour Michel Pastoureau de poser la question d’un déterminisme technologique, d’étudier les débats entre clergé chromophile et chromophobe, ou encore l’évolution chromatique de la Vierge, partie des couleurs du deuil pour être finalement blanchie en 1854 avec le dogme de l’Immaculée Conception. Entre les deux, il y a évidemment le bleu. Choisi pour sa proximité avec les vêtements sombres de la douleur, il a finalement permis un éclaircissement progressif de l’habit marial. Pour l’auteur, le succès du bleu dérive en fait de sa facilité au compromis. Jusqu’au XIIe siècle, la couleur est ignorée, exclue du trio dominant noir, blanc, rouge, et ne rentrera finalement dans un aucun ordre symbolique, ne sera la marque distinctive d’aucune classe. À l’image du “jean pour tous” de notre fin de siècle, il est passe-partout. Il n’agresse pas, ne transgresse pas. “Froid comme nos sociétés occidentales contemporaines dont le bleu est à la fois le symbole, l’emblème et la couleur préférée”, conclut Michel Pastoureau. Ceux qui cherchent plus de passion pourront toujours se tourner vers l’ouvrage concurrent.
- Michel Pastoureau, Bleu, histoire d’une couleur, éditions du Seuil, 216 p., 245 F, ISBN 2-02-020475-7
- Frédérique Jacquemin, Histoire du bleu, éditions Noesis, 195 p., 310 F, ISBN 2-911-606-52-3
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Les yeux dans les bleus
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°116 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Les yeux dans les bleus