Les vues des revues

Glacées ou chiffonnées ; gratuites ou sous le manteau ; portées par des institutions ou par des éditeurs aventureux, professionnels ou non ; à lire ou à regarder ; on line ou sur papier…, les revues sont plus que jamais salutaires en ces temps incertains, temps auxquels leur périodicité les lie. La diversité de leur forme et de leurs enjeux en fait plus qu’une simple antichambre au livre : elles sont une condition de l’essai et de la réflexion sur l’art.
Fragile condition au demeurant : la revue en ligne Tracés – Revue de Sciences humaines (soutenue par l’école normale supérieure à Lyon) revient régulièrement, avec le réseau Revues.org, sur la question des conditions d’existence des revues, en particulier pour celles qui sont adossées à la recherche publique, secteur menacé par la politique gouvernementale actuelle (lire p. 32) (1). Tracés ouvre régulièrement des dossiers essentiels à la réflexion sur la culture, ainsi sur la critique (daté de décembre 2008, le hors-série #08 intitulé « Présent et futurs de la critique »). Tracés (avec ses partenaires) développe sur la durée un cycle de conférences ambitieux (« À quoi servent les sciences humaines ? », de novembre 2008 à avril 2010). En ces mois d’avril et mai 2009, l’accent porte sur « Sciences humaines et création artistique » : les conférences sont mises en ligne au fur et à mesure, au rythme permis par l’édition électronique.
La revue savante est une forme possible, où le primat de l’écrit et du texte a ses raisons. L’image, en matière d’art, prend aussi sa part et, de ce point de vue, le simple feuilletage sur les tables des libraires permet de faire une sorte de typologie des lecteurs autant que des éditeurs. Le Mamco (Musée d’art moderne et contemporain), à Genève, a lancé « sa » revue, en affichant tout en brouillant sa périodicité par son nom, Numéros un et deux, avec ce sous-titre à jeu de mots, Retour d’y voir. 280 pages et 2 vignettes en noir et blanc, nous voilà dans un rapport affirmé au texte ! Les études sur Duchamp ouvrent la revue (Dominique Château et André Gervais), la suite étant laissée aux Américains, artistes (Bruce Nauman, Wallace Berman, Stephen Prina) et historien de l’art (George Kubler). Le chapitre suivant est européen : s’y croisent Beuys, Lavier, Boltanski, Armleder, avec des textes d’auteurs plutôt familiers de leur sujet, qui trouvent là l’occasion, au travers d’une bonne vingtaine de pages pour chacun, de répondre au programme éditorial « d’élargissement (de) nos pensées » emprunté à F. W. Schelling. Les trois textes d’Antonia Birnbaum réunis sous la rubrique finale, « Philosophèmes », lancent trois réflexions, dont celle particulièrement intructive sur « les moyens pauvres de la technique ». Le format des textes, leur nature à la fois monographique et problématique (critique, en somme) n’est pas si loin de ceux de 20/27. Cette revue annuelle propose pour son troisième numéro treize approches d’artistes contemporains, nourries de nombreuses reproductions dans un équilibre singulier, ne répondant ni au catalogue ni au magazine.

Du rire au dessin
Géographiques ou thématiques, nombre d’autres titres dessinent leur territoire. Annuel, 50° nord – Revue d’art contemporain, qui propose son numéro zéro en ce début avril, est porté par un réseau régional de structures d’art contemporain du nord de la France, et se définit, au-delà de sa dimension critique et interdisciplinaire, par son inscription régionale. Tout près de là, Parade, qui émane de l’école des beaux-arts de Tourcoing (Nord), offre avec son numéro 8 un dossier autour du rire appuyé sur des artistes comme Harald Thys et Jos De Gruyter, François Curlet ou Messieurs Delmotte. La dimension littéraire est l’un des centres de gravité de Fusées, et le quinzième numéro réserve en particulier une bonne place au cinéaste Jean-Marie Straub comme à l’écrivain Christophe Tarkos, ou encore à l’artiste Paul Pouvreau. Il faut aussi signaler le tout récent numéro 1 de Roven, orienté, deux fois par an, vers le dessin contemporain, un axe qui répond à un engouement de saison. Et parce que, en matière de revue, les artistes ne sont pas seulement ceux à qui on les consacre, mais aussi parfois ceux qui les font, on mentionnera Revues d’artistes, une sélection, parcours au travers d’une soixantaine de titres de 1962 à aujourd’hui, témoins d’une diversité éditoriale des plus réjouissantes.