Livre

Les monuments en première ligne

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 mai 2023 - 411 mots

Monumentum. Locution latine désignant une construction qui fait penser, se souvenir, de quelque chose ou de quelqu’un.

Dans la grande famille des monuments et lieux de mémoire, la statue occupe une place singulière, puisqu’elle est tout à la fois une œuvre d’art, le réceptacle de l’histoire plus ou moins récente, mais aussi le portrait d’un personnage. De par sa nature éminemment incarnée, et sa fonction commémorative des « grands hommes », elle se retrouve ainsi inéluctablement au cœur de la vie de la cité, cristallisant comme aucun autre artefact les débats de société. Les nombreux actes de vandalisme qui visent ce patrimoine depuis 2020 nous rappellent ainsi, tous les jours ou presque, à quel point la statuaire publique est, à son corps défendant, en première ligne des convulsions sociales et du militantisme. Les actions menées dans le sillage du mouvement antiraciste Black Lives Matter ont en effet abondamment pris pour cible les effigies de personnages critiqués pour leur rôle dans l’esclavagisme et/ou dans le colonialisme. Parfois à raison, parfois à tort, mais souvent de manière anachronique. Les observateurs et les médias ont abondamment commenté ces dégradations, arguant du caractère exceptionnel, inédit même, d’une telle contestation. Or, il n’en est rien. Les actes violents, les déboulonnages et les destructions de statues jalonnent au contraire l’histoire occidentale presque sans discontinuer depuis la Révolution française. Et plus loin encore. Car, selon l’historien Bertrand Tillier, « la pratique consistant à altérer, déplacer ou détruire des images, et plus particulièrement des statues, est ancienne, à en juger par les sources dont on dispose déjà pour l’Égypte et la Grèce antiques, pour Byzance (VIIIe-IXe siècles) ou l’iconoclasme huguenot de la Réforme ». Cette hostilité aux statues est si récurrente au fil des crises politiques que l’auteur forge même un néologisme pour la caractériser : la « statuoclastie ». Une pratique qu’il distingue volontairement du vandalisme, terme qu’il considère trop « lourd de considérations morales et de fausse impartialité, tant son usage engage d’emblée un jugement moral ». Si l’on peut ne pas partager ce point de vue ainsi que certaines des conclusions de son essai, force est de constater que cet ouvrage dessine de stimulantes perspectives historiques, qui aident à comprendre et à contextualiser ces résurgences actuelles. Le décryptage de cette généalogie contestataire montre aussi la permanence à travers les âges de méthodes similaires. L’étude de plusieurs cas d’espèce raconte ainsi en filigrane les stratégies de diffusion de ces attaques et la manière dont les vandales projettent inlassablement le patrimoine dans l’arène médiatique et politique.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Les monuments en première ligne

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