Auteur du château d’Anet, du palais des Tuileries et du tombeau de François Ier, Philibert de l’Orme (1514-1570) fut aussi le premier architecte français à définir sa pratique dans des traités. En faisant entrer son art dans l’âge de l’écriture, il a épargné à son nom et à ses intentions le sort de ses œuvres, détruites pour la plupart. Jean-Marie Pérouse de Montclos, qui voit en De l’Orme le père de l’architecture française, en a reconstitué la vie et l’œuvre.
“Édifices détruits, maquettes ruinées, dessins dispersés, démarqués, peut-être anéantis, il reste peu de chose de cette œuvre abondante. Presque rien en comparaison de ce qui a été conservé de l’œuvre des architectes italiens contemporains : de l’œuvre de San Gallo le Jeune, qui fut peut-être le patron sinon le maître de De l’Orme, subsistent des palais, des recueils de dessins et la superbe maquette de son projet pour Saint-Pierre ; de l’œuvre bâtie de Palladio, il ne manque rien ou presque. Ainsi la France traite ses architectes.” Cette déploration de Jean-Marie Pérouse de Montclos résume à sa façon la difficulté de son entreprise monographique. Plus sûrement que ses constructions, ce sont les traités de Philibert de l’Orme qui ont assuré la transmission de son nom à travers les siècles, une circonstance qui ne surprendra pas dans un pays qui vénère tant sa littérature et ses écrivains. Avec les Nouvelles inventions pour bien bastir à petits fraiz (1561), puis le Premier tome de l’Architecture (1567), “De l’Orme est le premier praticien français à avoir défini la fonction de l’architecte”. Non content d’avoir fait entrer sa profession dans l’âge de l’écriture, il fut l’un des créateurs les plus féconds de l’architecture française. Pourtant, comme dans le cas de François Mansart, les Anglais avaient tiré les premiers, devançant de quelques décennies les historiens français. En 1963, Anthony Blunt publiait un premier ouvrage sur De l’Orme ; aujourd’hui, Jean-Marie Pérouse de Montclos prend le relais. Bien plus ambitieux que son prédécesseur, il a envisagé, dans le catalogue raisonné, “toutes les attributions faites à De l’Orme, aussi peu crédibles soient-elles”.
Les plus grandes œuvres de De l’Orme ont été mutilées, à l’instar du château d’Anet construit pour Diane de Poitiers, ou détruites, comme le château de Saint-Maur ou le palais des Tuileries. Quant aux projets les plus ambitieux, ils furent empêchés par la mort prématurée d’Henri II. Le Roi avait en effet accepté la construction, à Saint-Germain-en-Laye, d’un pont sur la Seine constitué d’une seule arche de 400 mètres de portée, et d’une colossale basilique royale, large de 50 mètres, couverte d’un seul berceau en bois ! Toutefois, dans le cadre de cette monographie, l’auteur, qui fait justice de quelques légendes, propose d’attribuer à De l’Orme des bâtiments en quête d’auteur, comme le château de Maulnes-en-Tonnerois et celui de l’Ardoise à Pithiviers, en s’appuyant notamment sur la présence de la fameuse charpente à petit bois. En revanche, il n’a retenu qu’un seul dessin, le projet pour la porte de l’Arsenal à Paris, une lacune en partie compensée par le grand nombre de devis et de marchés conservés qui portent la signature de De l’Orme. L’énorme travail de dépouillement d’archives mené par Maurice Roy et Catherine Grodecki s’est en l’occurrence révélé précieux. Ces documents retrouvés ainsi que les traités nous renseignent sur la position sociale de l’architecte, à qui le souverain offre des bénéfices ecclésiastiques afin qu’il assure les frais des chantiers, entretienne les ouvriers, etc. Il apparaît également que De l’Orme, qui avait commencé sa carrière par des travaux de fortification, notamment en Bretagne, “a consacré l’essentiel de son œuvre à la modernisation de la demeure” et “a contribué au perfectionnement de la distribution, une technique qui deviendra en France un art”. En posant ainsi De l’Orme en père fondateur d’une école française, Pérouse de Montclos poursuit une réflexion entamée dans L’architecture à la française ; il développe une intuition née de l’étude de Boullée et ses projets visionnaires, derrière lesquels il avait découvert la prégnance d’une tradition. De l’Orme lui-même s’affirme, dans la lignée des architectes médiévaux, comme un constructeur hors pair, maître dans l’art de la stéréotomie, mais aussi comme “un artiste dont l’esthétique ne connaissait qu’un seule règle, celle que le compère Rabelais avait imposé à l’abbaye de Thélème : Fais ce que vouldras.”
- Jean-Marie Pérouse de Montclos, Philibert de l’Orme, architecte du Roi (1514-1570), éd. Mengès, 390 p., 338 ill., 350 F. ISBN 2-8562-0408-2.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Le premier d’entre tous