Œil lui-même, Philippe Costamagna raconte les origines et décrit le profil des « attributionnistes ».
Philippe Costamagna ne pouvait rêver meilleur contexte que la redécouverte supposée d’un Caravage à Toulouse pour publier un livre sur l’histoire et le métier de ces historiens de l’art particuliers que sont les « œils ». Ces derniers ont « pour fonction de découvrir des paternités aux tableaux à partir de leur seul regard », se distinguant là des historiens de l’art qui échafaudent des hypothèses. L’auteur, qui est aussi le directeur du Musée des beaux-arts d’Ajaccio, est lui-même un œil, et il ne boude pas son plaisir à relater sa découverte en 2005 d’un tableau important de Bronzino au Musée des beaux-arts de Nice, qui le donnait jusqu’alors à Fra Bartolomeo. Sans verser dans l’autobiographie, Philippe Costamagna se raconte, une façon de décrire le parcours initiatique d’un œil. Spécialiste de la peinture italienne du XVIe siècle, un intérêt qui remonte à son enseignement reçu à l’École du Louvre, son apprentissage passe par plusieurs séjours à Florence. On a connu pire comme initiation. Et comme l’auteur du futur catalogue raisonné de Pontormo est sympathique (lire son Portrait dans le JdA no 415, 6 juin 2014), il sait s’attirer les bonnes grâces des meilleurs professionnels et apprendre ainsi auprès d’eux comment reconnaître une œuvre. Mais l’ouvrage n’oublie pas de décrire la généalogie des connoisseurs, de Giovanni Morelli et Giovanni Cavalcaselle à Federico Zeri en passant par Bernard Berenson et Roberto Longhi. L’attributionnisme est une science jubilatoire. Passées les années de formation à observer des milliers d’œuvres, entrer dans la technique picturale pour un jour pouvoir découvrir le véritable auteur d’un tableau ou d’un dessin florentin est jouissif. D’autant que le hasard, comme à Nice, préside souvent à ces découvertes. L’exercice n’est pas simple, surtout quand le tableau est endommagé, retaillé, encrassé, couverts de repeints. La mémoire visuelle des œils à ceci de particulier qu’elle reconnaît parfois en une seconde un Caravage, comme Longhi à Rouen en 1959, ou, comme l’auteur lui-même, un Vasari dans une église corse.
Pressions des marchands
Costamagna n’élude pas le sujet sensible, y revenant à plusieurs reprises, que sont les liaisons avec les marchands. Selon qu’un tableau est donné à Bronzino ou à un inconnu, sa valeur peut ou non centupler. Les pressions sont donc fortes qui peuvent s’accompagner de commissions. L’auteur se défend de toute rémunération, prenant lui-même en charge ses déplacements. Il n’accepte pour toute récompense que la gloire de publier un article sur la découverte ou d’avoir facilité l’acquisition de l’œuvre par un musée. Dont acte. Mais tous les œils n’ont pas les mêmes scrupules.
Écrit à deux plumes avec un art de la narration peu fréquent dans les ouvrages de ce type, souvent pontifiants, ce livre enlevé se lit avec plaisir.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le métier d’« œil »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Ed. Grasset, 270 pages, 20 €.
En savoir plus
Consulter la fiche biographique de Philippe Costamagna
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : Le métier d’« œil »