Elena Foster édite en collaboration avec des artistes tels Richard Long ou Anish Kapoor de véritables œuvres de papier.
Il existe des livres à lire ou à consulter, et d’autres à acheter pour le simple plaisir de les posséder. Tel est le cas de ceux qui sont édités par Elena Foster, une Espagnole professeur de psychologie et épouse du célèbre architecte Norman Foster. Les ouvrages qu’elle produit sont de véritables œuvres, comme en témoigne celui né de la collaboration avec le sculpteur britannique Anthony Caro, qui relève davantage de la sculpture que du livre.
Lin et chanvre
Le concept du livre d’artiste est né en France autour de 1900, avec l’intention explicite de créer une œuvre. Ces ouvrages allient souvent des essais, des poésies ou des textes classiques et des illustrations réalisées par un artiste, et non pas par un illustrateur. Les choix du papier, de la typographie et de la reliure sont en outre réalisés avec un soin particulier. Le tirage est souvent très limité, non seulement en raison du coût de production, mais surtout pour en accroître la rareté et la valeur. Parallèlement (1900) – un recueil de poèmes érotiques de Paul Verlaine accompagnés de lithographies de Pierre Bonnard, édité par le marchand d’art Ambroise Vollard – en est l’exemple typique.
Encouragée et conseillée par le collectionneur Robert Sainsbury, Elena Foster s’est tournée vers des artistes pour leur proposer sa collaboration : « Je serai votre instrument, je vous aiderai à trouver tous les matériaux nécessaires, et je vous laisserai le temps qu’il vous faudra. » En 2002, elle publie son premier livre, Reflections, avec l’artiste espagnol Eduardo Chillida, qui meurt avant l’achèvement de l’ouvrage. Le livre contient des textes du critique d’art John Berger et du romancier mexicain Carlos Fuentes, onze fac-similés lithographiques de dessins et d’un carnet inédit de l’artiste, ainsi que des images de Saint-Sébastien réalisées par le photographe Ferdinando Scianna. Il a été imprimé sur du papier fait main, empaqueté dans une boîte de papier épais, dont la surface rappelle le granit. Pesant quelque 32 kg, il évoque la forte volumétrie des œuvres de Chillida.
L’éditrice se tourne ensuite vers l’artiste anglais Richard Long, adepte des longues marches-
performances dans la nature et concepteur de cercles de pierre fragmentée ou peints avec de la boue. Dans Walking and sleeping (2003), la contribution de l’artiste est directe et manuelle : l’édition est limitée à cinquante-huit copies, dont seize dessins de boue originaux, et quarante-deux lithographies. Le papier, fait main, contient de la paille et des petits cailloux, comme il se doit pour un « land artist ». Le tout est rustiquement relié en lin et chanvre, enveloppé dans une toile et empaqueté dans une grossière boîte en bois affichant des surimpressions réalisées par Long. Quant à Open Secret (2004), réalisé avec Anthony Caro, il s’agit d’un portfolio de poèmes écrits à la main en anglais et en allemand par Hans Magnus Enzensberger, enveloppé dans de la soie noire et empaqueté, comme les œuvres récentes de Caro, dans une grande boîte ondulée (80 cm de long) : une véritable sculpture de table en bronze, en cuivre, en acier inoxydable ou en papier mâché gris.
Dessins inédits de Bacon
Pour son dernier ouvrage, Elena Foster a invité Anish Kapoor, qui propose aujourd’hui Wound (« Blessure »). Presque dépourvu de texte, et contenant un bref essai de Jeremy Lewinson (ex-directeur de la Tate Gallery) sur la nature d’une blessure, l’ouvrage se termine sur cette phrase programmatique : « Le livre est corps, le corps est livre. » Il se compose principalement de deux cent trente et une feuilles de papier, fixées sur une base en aluminium, et coupées au laser dans le sens de la profondeur, afin de laisser sur toute l’épaisseur une blessure sombre, évolution organique des convexités/concavités qui caractérisent les sculptures de Kapoor.
Au-delà de leur valeur artistique, ces livres ont aussi une valeur pécuniaire, justifiée par les ingrédients classiques : signatures des artistes sur chaque pièce, certificats d’authenticité et numérotation spécifique. À 42 000 euros pièce, les deux cents copies du « Chillida » ont eu du mal à trouver preneur, selon l’éditrice. En revanche, les autres livres se sont mieux vendus. Les seize « peintures » originales en boue de Richard Long ont été vendues 60 000 euros pièce, et seules quelques-unes des quarante-deux lithographies, vendues environ 30 000 euros, n’ont pas trouvé acquéreur. Les trois « Caro » avec boîtes en papier mâché et les trois avec boîte en acier se sont également bien vendus, ainsi que ceux en bronze et en cuivre, dont le prix s’élevait à environ 50 000 euros. Pour se procurer l’un des vingt-cinq exemplaires de Kapoor, il faudra débourser 73 000 euros. À titre de comparaison, un Trou en terre cuite signé de cet artiste a été vendu environ 30 000 euros chez Christie’s Londres le 27 juin 2000.
Le prochain projet d’Elena Foster est un livre qui contiendra des fac-similés de dessins inédits de Francis Bacon, trouvés dans l’atelier que l’artiste laissa en héritage à la National Gallery de Dublin. L’ouvrage sera réalisé en collaboration avec l’exécuteur testamentaire de Bacon, Bryan Clarke. Et ensuite ? « Je suis en train de réfléchir à la possibilité de réaliser un livre d’artiste dans le domaine de la vidéo », nous a affirmé l’éditrice. Quel programme !
Elena Foster Publications Ltd, Ivory Press, 22 Hester Road, Londres, SW 11 4AN, tél. 44 207 801 09 33
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le livre est un objet d’art
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°230 du 3 février 2006, avec le titre suivant : Le livre est un objet d’art