Temps modernes 1430-1620 : sous un titre classique, mais avec un choix de dates qui l’est bien moins, le deuxième volume de L’art français, établi à partir de l’énorme manuscrit que laissa à sa mort André Chastel, touche à son domaine de prédilection, la Renaissance.
L’édition établie par Marie-Geneviève de la Coste-Messelière, soutenue par la magnifique qualité du vaste choix d’illustrations, donne un texte superbe : dans son presque imperceptible inachèvement, il nous transmet toute la démarche d’une pensée et sa recherche des "battements", des "glissements" qui modifient la création artistique de tout un pays.
Ce volume comble d’abord le manque absolu d’un ouvrage de synthèse sur la Renaissance française, encore trop dépendante pour certains d’un modèle italien qu’auraient révélé les guerres d’Italie ou, pour d’autres, complètement repensée en fonction de la qualité évidemment supérieure de la "manière française". À ces partis pris, Chastel apporte une réponse tout en nuances, fondée sur des centaines d’exemples pris dans la France entière et dans toutes les catégories artistiques. La Renaissance française éclate, dépasse le cadre habituel des réalisations parisiennes ou seigneuriales, la province s’impose : des stalles de Saint-Martin-aux-Bois (Oise) aux cheminées du château de Villeneuve-Lembron (Puy-de-Dôme), Chastel révèle, en laissant s’exprimer sa sensibilité à la beauté de l’objet, le talent français pour une assimilation sélective des influences étrangères.
Le plan très clair de l’ouvrage, où les périodes chronologiques et les zones géographiques, prétextes à l’étude plus approfondie d’un type d’influence, s’enchaînent et se pénètrent avec souplesse, repose sur une révision des rapports entre données historiques et création artistique : ainsi, pour arracher au Moyen Âge l’essentiel du XVe siècle et en faire, de manière très convaincante, une "Pré-Renaissance" (1420-1500), Chastel s’appuie sur le renouveau français après la guerre de Cent ans, les réunifications et l’esprit nouveau de techniques longtemps considérées comme typiquement médiévales : la miniature et le vitrail.
Les guerres d’Italie ne sont plus qu’un épiphénomène mais, bien plus tard, le drame des guerres de religion prend enfin sa véritable dimension. Véritable fil conducteur de ce livre, l’art des maîtres-verriers est, pour lui, à cause du maintien des structures gothiques développant les grandes verrières, la part de la peinture d’Église dans la Renaissance française.
Cette intégration de tant d’éléments à la fois traditionnels et nouveaux, la sculpture religieuse monumentale, les émaux, la tapisserie, ne lui a certes pas fait oublier les grands maîtres, Fouquet, Goujon, les grands édifices, Chambord, le Louvre. Mais ils ne dominent plus une activité artistique multiple et cependant unifiée dans le goût national du "beau métier". Livre capital pour le spécialiste, l’étudiant, mais aussi l’amateur, Temps modernes est peut-être l’ouvrage qui laisse le mieux percer l’extrême richesse de la pensée et de la sensibilité d’André Chastel.
André Chastel, L’art français, Temps modernes 1430-1620, Flammarion, 335 p., 495 F jusqu’au 31 janvier, puis 595 F.
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Le deuxième volume de l’Art français
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Le deuxième volume de l’Art français