Cent ans après la promulgation de la loi de 1913, historiens, juristes et conservateurs du patrimoine éclairent ce texte fondateur pour la protection du patrimoine précédant les destructions de la Grande Guerre.
« Il y a deux choses dans un édifice, son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde », écrivait Victor Hugo en 1832 dans la Revue des Deux Mondes. En 1913, la loi du 31 décembre sur les Monuments historiques édictait la puissance tutélaire de l’État sur la « beauté » patrimoniale de son territoire, au détriment du droit de propriété. Cent ans plus tard historiens, historiens du droit, juristes et conservateurs rassemblés par le Centre d’études sur la coopération juridique internationale et l’École des Chartres – en collaboration avec le ministère de la Culture – croisent leurs réflexions sur ce texte de droit, colonne vertébrale du code du patrimoine d’aujourd’hui, et sa genèse.
Si l’inspection générale des Monuments historiques et la commission des Monuments historiques ont été créées respectivement en 1830 et 1837 et que les premiers classements de monuments adviennent en 1840, il n’existe pas de vrai droit du patrimoine avant 1887. Il s’agit pourtant de se prémunir des trafics d’objets, des destructions ou réparations abusives d’édifices. Le 31 mars 1887 paraît au Journal officiel la loi du 30 mars pour la conservation des monuments et objets d’art ayant un intérêt historique et artistique. Cette loi s’applique aux édifices dont la conservation peut avoir, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt national et édicte notamment que les immeubles classés ne peuvent être détruits, même en partie, ni être l’objet d’une restauration, de réparations ou de modifications quelconques, si le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts n’y a donné son consentement. Si l’État gagne le droit d’exercer une tutelle sur tout propriétaire public, les particuliers, eux, ne peuvent en rien être contraints à voir leur propriété classée contre leur gré. L’expropriation pour intérêt public demeure alors, depuis 1841, la seule manière de faire fléchir le droit individuel. Cette procédure onéreuse demeure cependant d’un usage extrêmement rare. En 1905, la loi de séparation de l’État et de l’église met en évidence les faiblesses de la loi de 1887. Le législateur craint que les associations cultuelles, privées du budget des cultes, ne se voient chargées des églises et ne dispersent ses trésors pour subvenir à ses besoins. En 1908, la propriété et l’entretien des églises échoient finalement aux communes, mais une nouvelle loi sur les Monuments historiques est en préparation pour renforcer la tutelle de l’État sur le patrimoine commun.
Les fondamentaux de la protection du patrimoine
En 1913, le classement s’élargit aux immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public, et non plus national, ce qui ouvre la voie à une protection plus large, de la cathédrale à l’église rurale. Si le classement d’un objet mobilier sans l’accord du propriétaire privé ne peut quant à lui que passer par une loi spéciale, l’extension du classement d’office d’édifices aux propriétaires privés est la grande avancée de la loi. Tout comme l’établissement d’un lien entre droit pénal commun et droit du patrimoine culturel. Jusqu’ici, la sanction pour toute modification ou aliénation d’un bien classé sans autorisation était purement civile. Les procès en dommages et intérêts que l’administration n’intentait jamais étaient peu dissuasifs. L’interdiction d’exporter les objets classés est également introduite dans la loi, tout comme l’inventaire supplémentaire, qui confère à l’administration un droit de surveillance sur des édifices non classés, présentant un intérêt. Prescrit sur une période de trois années, la mise en œuvre et l’achèvement de l’inventaire dans ce délai furent ajournés en raison de la Grande Guerre.
L’ouvrage, constitué d’essais thématiques et chronologiques, est accompagné d’annexes extrêmement complètes et faciles à manier, tandis que les travaux parlementaires depuis 1882 et les archives administratives provenant de la médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine voisinent avec de passionnantes biographies. De l’écrivain et homme politique Maurice Barrès, qui prônait le classement de toutes les églises de France, à Théodore Reinach, rapporteur de la loi 1913 et dont les notices restent des monuments de littérature, l’ouvrage met en valeur le rôle des écrivains passés à la postérité, mais aussi des administrateurs plus méconnus dans le grand débat de société qui anima la conception de la loi de 1913. Un outil passionnant pour revenir aux sources ,à l’heure où une nouvelle loi sur le Patrimoine s’apprête à passer en Conseil des ministres.
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L’autre commémoration centenaire
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Abonnez-vous dès 1 €1913, Genèse d’une loi sur les Monuments historiques ouvrage coordonné par Jean-Pierre Bady, Marie Cornu, Jérome Fromageau, Jean-Michel Leniaud, Vincent Négri, La Documentation française, 601 pages, 39 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : L’autre commémoration centenaire