Le livre de Richard Miller offre une nouvelle synthèse de Cobra qui dépasse le simple exposé chronologique pour pénétrer la spécificité de ce mouvement expériÂmental qui ne voulait ni de Paris, ni de New York sans cesser d’y songer.
La bibliographie consacrée au sujet datait singulièrement. L’ouvrage de Jean-Clarence Lambert constituait la principale référence scientifique importante à côté de catalogues souvent approximatifs. Richard Miller et les Nouvelles Éditions françaises viennent à propos renouveler une vision jusqu’ici essentiellement chronologique.
L’auteur a organisé son exposé selon trois axes : d’abord la thématique constitutive de l’esprit Cobra, ensuite la géographie du mouvement qui met en perspective l’action déterminante de la revue, enfin, le prolongement de cette recherche dans les œuvres de chacun de ses membres.
La première partie permettra au lecteur de situer les enjeux d’un mouvement d’autant plus complexe que son activité théorique a connu une évolution constante entre 1948 et 1951 : la situation du communisme comme point d’ancrage idéologique et celle de Paris comme référence esthétique et culturelle sont à ce titre révélatrices de l’époque. La dimension morale de Cobra a nettement influé sur ses options esthétiques.
Le décloisonnement des pratiques a conduit les artistes du groupe à revendiquer des formes de collaborations ininterrompues. L’expérimentation est promesse de fusion : de la poésie et la peinture, de l’art et de la vie, de la culture populaire et de la création, de l’instant et de l’histoire. L’utopie domine et Richard Miller, en philosophe, en démonte les principes et met en évidence les partis-pris sans se limiter au contexte historique. En marge de Paris, Cobra définit un espace de création qui s’évade de la nébuleuse surréaliste.
On regrettera peut-être de ne pas voir Cobra davantage situé dans le contexte artistique, culturel et politique d’une époque qui, singulièrement, en détermine les options.
Les «toponymes Cobra», deuxième partie de l’ouvrage met en évidence cette géographie spirituelle qui en soi est chargée de significations : Paris qui «fout le camp expérimental» selon les mots même de Dotremont, Silkeborg et son sanatorium, Bruxelles, Amsterdam et Copenhague avec leur passé qui définit les voies à explorer. En soi, l’ouvrage témoigne de la difficulté à élaborer un discours qui, comme le mouvement Cobra, résiste aux individualités. Celles-ci apparaissent sous formes de biographies dans la dernière partie. L’ouvrage offre ainsi la vision à la fois éclatée et synthétique d’un rêve collectif qui, en affirmant l’individualité créatrice, ne pouvait résister à la pression des personnalités.
Richard Miller livre ici un essai pénétrant qui, tout en se distinguant des ouvrages qui l’ont précédé, esquisse de nouvelles pistes de réflexion. Il faudra un jour qu’on reprenne cette histoire pour replacer Cobra dans le contexte général des années 50, face à l’affirmation d’une «modernité» américaine, face aux courants qui à Paris émergent entre abstraction et figuration, Cobra – et Jorn à sa tête – n’offre-t-il pas une troisième voie ?
Richard Miller, "Cobra", Nouvelles éditions françaises, 252 p., 325 ill., 650 F
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L’autre bout du serpent Cobra
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : L’autre bout du serpent Cobra