La pilule est dure à avaler : financée par la filiale éditoriale d’un laboratoire pharmaceutique nommée, un peu pompeusement, l’“Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance”, cette publication sur l’art et la folie ne fait pourtant rien progresser du tout. D’emblée, les œuvres reproduites sont pour la plupart tronquées, d’un rien parfois, mais cela suffit sans doute à les faire rentrer dans le cadre particulier de l’ouvrage. En outre, ces mêmes reproductions ne sont pas accompagnées de leurs légendes – c’est-à-dire leur date d’exécution et leur lieu de conservation, ni même de leur technique et de leurs dimensions. Ces indications, incomplètes, sont en fait refoulées dans les crédits photographiques de l’ouvrage. Car ici, au cœur de l’ouvrage, tout se vaut ; tout ce qui a trait à la folie est réduit au plan de l’illustration. En fait, la démence que l’on prête aux artistes n’a que peu à faire avec leur folie propre. Les figures de Vincent Van Gogh, de Camille Claudel ou d’Antonin Artaud (pour ne citer que les classiques du genre) sont devenues que ce que l’on a dit et fait d’elles : les acteurs d’une vision complaisante de la folie qui a le mérite d’en contenir les dérèglements à l’intérieur d’un leurre étiqueté “culture”. En ce sens, ce n’est pas la folie de l’art qui compte mais celle des artistes ou, à défaut, celle qu’ils illustrent : la folie des amants, la folie du pouvoir, la folie de l’au-delà, pour reprendre le titre des chapitres. L’érudition des auteurs est, certes, irréprochable – elle se montre comme il faut, sans excès, sans folie. Le problème, peut-être, c’est ce qu’ils en font. En témoigne, parmi tant d’autres du même cru, ce commentaire qui accompagne un autoportrait de Francis Bacon : “Qu’est-ce que soi ? Comme une fractale, chaque partie du visage de Bacon semble se refléter dans l’autre.” Au fond, une telle indigence n’est peut-être que le signe de l’aliénation de l’édition d’art, qui a depuis longtemps cessé de s’appartenir.
Sophie de Sivry et Philippe Meyer, L’art et la folie, éditions du sextant bleu, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 128 p., 88 reproductions couleurs, 220 F.
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L'art et la folie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°499 du 1 septembre 1998, avec le titre suivant : L'art et la folie