Publication à titre posthume des écrits sur le contemporain de ce spécialiste de la Renaissance.
Comme le rappelle justement la belle préface de Catherine Bédard, la part de travail que Daniel Arasse a consacré à l’art contemporain n’a rien d’un détour dicté par l’opportunité, tant s’en faut. Prenant toujours, comme au micro de France Culture que j’eus l’occasion de lui tendre près d’une dizaine de fois en 2000-2001, toutes précautions pour ne pas en imposer par détournement de son autorité d’historien, il eut bien au contraire avec l’art contemporain un terrain pour élargir et réaffirmer son intérêt pour le présent de l’art. Il sut avec une vraie grâce méthodologique prolonger une position de regard et d’analyse singulière, ouverte non sur le seul savoir mais sur les plaisirs de l’interprétation. D’où ces Anachoniques, recueil de dix textes consacrés à onze artistes (Beckmann, Rothko, Kiefer, Snow, Sherman, Serrano, Rondepierre, Fleischer, Paterson et Laframboise, Coleman) publiés à partir 1993 dans des catalogues d’exposition, dans Art Press, ou inédit pour le dernier. Si la problématique de la temporalité traverse tout le rapport à l’art de Daniel Arasse, l’auteur retient avant tout dans son parcours contemporain des œuvres qui mettent en jeu la question de la figure, au-delà des spécificités de médium puisque peinture comme photographie (surtout) et vidéo ont leur place dans ces choix. Pour lui, même l’art cinématographique demeure le paradigme clef du voir contemporain.
Entre l’historien et le critique
C’est dans ce rapport attentif, joueur, lumineux et fertile que le livre atteint son ton, qui ne tient ni de la critique en ce qu’il se situe hors du jugement de valeur artistique, ni de l’analyse strictement savante en ce qu’il laisse place voire revendique l’esprit de « l’interprétation subjective motivée ». Arasse entend des œuvres qui l’arrêtent – comme il le dit des photographies d’Andres Serrano –, qu’elles « exige[nt] de nous que nous regardions, droit dans les yeux, ce qu’on a tendance, aujourd’hui, de plus en plus, à écarter, à ne pas vouloir savoir, à ne pas envisager. » Les figures qui le retiennent comprennent celles de la rhétorique (Kiefer et ses mots références), du portrait allégorique (Sherman), du paysage transformé (Paterson), du double de l’image du miroir (Beckmann) ou du rêve (Rondepierre), de l’irreprésentable (Rothko) ou de l’obscène (Fleischer). Figures encore, que celles des maîtres anciens, présents même par leur nécessaire oubli dans la production des artistes. Ou encore celle du grand art qui inscrit les œuvres dans un champ très habité, très hanté, des images de l’art, où les grands portants anthropologiques (le voir, la mort, le sexe) sont convoqués. Avec Coleman, Arasse assigne un défi qu’il n’aura pu mener à son terme : dans le rapport au maître ancien (ce texte répond à une intervention de l’artiste dans l’exposition « Léonard de Vinci » au Louvre en 2003), Arasse pointe la manière dont Coleman « prend la tangente » vis-à-vis de l’héritage auquel il se confronte. Que faire en effet de l’art contemporain quand il se défie, se défile de la perspective du grand art ? Quand il veut, non sans complexité, en toute nécessité, se tenir à la surface de l’image ? L’historien n’a pas à répondre à cela ; le critique, si.
Daniel Arasse, lui, a construit son précieux édifice quelque part entre ces deux positions.
DANIEL ARASSE, ANACHRONIQUES, éd. Gallimard, collection Art et Artistes, 192 p., 38 ill., 20 euros ISBN 2-07-077093-1
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’art au présent d’Arasse
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : L’art au présent d’Arasse