Emmanuel Guibert, lauréat du Grand Prix d’Angoulême en 2020, pratique de manière compulsive ce que l’on appelle le « dessin d’observation ».
Autrement dit, ce que nous nous contentons de voir, lui, il le dessine. C’est une œuvre à part qu’il tisse depuis trente ans : ouvrage après ouvrage, il documente des histoires singulières qui, souvent, s’inscrivent dans une autre histoire, la grande. Celle à laquelle on met un grand H. Voilà donc plus d’un quart de siècle qu’avec son œil affûté, et autant de pudeur que de tendresse, il consacre des albums (dessinés) à la vie de son ami Alan Cope, ce soldat américain qui avait débarqué au Havre en 1945 sous les ordres du général Patton. Alan était né vingt ans plus tôt en Californie, où sa mère lui chantait des chansons de Stephen Foster, le « père de la musique américaine ». Après la guerre, c’est sur l’île de Ré qu’il avait choisi de s’installer. C’est là, quelques années à peine avant sa mort, qu’il avait croisé le chemin d’Emmanuel Guibert, sur une petite route de l’île charentaise. Le dessinateur était perdu, l’ancien GI mélomane lui avait montré la voie. Cette jolie histoire ne pouvait que joliment se poursuivre. Pendant cinq ans, les deux hommes ont entretenu une amitié et ce jardin, où l’un invitait l’autre à la conversation à l’heure de l’arrosage. « Alan racontait souvent des anecdotes de très forte portée, d’une manière transparente, cristalline, fluide. » Emmanuel les dessinait. Il y a eu, déjà, trois volumes publiés : La Guerre d’Alan, L’Enfance d’Alan puis Martha et Alan, aux éditions L’Association. Et ce n’est pas fini, car le dessinateur compte bien poursuivre cette œuvre intimiste et mémorielle. Alan Cope est certes parti, mais ses souvenirs restent là. Il savait à qui il les confiait. En 2017, le producteur Philippe Ghielmetti a proposé à Emmanuel Guibert de créer puis d’enregistrer pour le label Vision Fugitive « la musique d’Alan ». Il savait qu’Alan aimait la musique, et qu’il aimait la partager lors de « concerts de disques » avec son ami attentif. Il a donc convié ses complices de longue date : le couple de musiciens américains Peg et Bill Carrothers, le guitariste Philippe Mouratoglou et le clarinettiste Jean-Marc Foltz, qui font tous deux partie de l’aventure de ce label aventureux et poétique. Chacun a écrit sa partition de son côté et tous se sont retrouvés dans un studio pour donner corps à ce projet transatlantique, près de vingt ans après la disparition de l’intéressé. Emmanuel Guibert était là aussi, bien sûr. C’est lui qui signe toutes les couvertures du label. Pour La Musique d’Alan, l’album musical, il a pratiqué son art, donc, de l’observation. Avec ses pastels et son regard si tendre, il a saisi l’insaisissable : la grâce.
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La musique d’Alan, une histoire d’amitié
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°752 du 1 mars 2022, avec le titre suivant : La musique d’Alan, une histoire d’amitié