Il serait bien inutile de chercher une quelconque trace de métamorphose dans La Métamorphose de Kafka.
Elle est tout entière dans le titre, en avant du récit. Les mots qui le suivent nous décrivent le cheminement d’un héros sans issue, qui ne cherche qu’à prendre acte de sa condition : insecte rebutant… et d’autant plus humain ? Sa nouvelle naissance est acquise. Il est au monde tel qu’il est, et il conviendra de faire avec, non d’en faire quelque chose. Depuis le temps des mythes antiques et des Métamorphoses d’Ovide, nous sommes habitués à des histoires qui servent un propos, l’expression des archétypes humains et le voyage du héros à la découverte d’une évolution de soi. C’est encore ainsi que nous entendons bien souvent le terme de « métamorphose ». Mais La Métamorphose composée par Kafka n’est pas en soi une histoire. C’est un de ces rares livres-univers, œuvres d’art littéraires, capable de créer son propre fonctionnement, sa propre voix de mythologie, qui s’ouvre et se referme sur elle-même. Ici, le récit sert plutôt une image, il n’entre pas dans la catégorie littéraire de la déconstruction d’une identité. Car La Métamorphose est un fantasme. Et c’est sous cet angle de lecture que nous pouvons voir la transfiguration en images du texte par Miquel Barceló. Parmi les pages maculées de taches d’encres colorées, comme si le « monstrueux insecte » y avait mis la patte, les illustrations omniprésentes de l’artiste participent du jeu de projection de ce récit-image. Les aquarelles hypnotiques mettent le visiteur du livre en présence du monde vu par les yeux du protagoniste. Elles procèdent plus de l’état de stupeur et d’incompréhension face à l’absurdité des faits, de la lutte intérieure du réel avec la raison, qu’elles illustrent chronologiquement les péripéties du récit. Kafka ne se mêle pas de mettre en lumière l’ombre de l’homme dans le cafard. Il fait des deux le chemin d’une symbiose, d’une acceptation. Et d’appuyer cette lecture fantasmatique, Barceló associe des visions fiévreuses de femmes sexualisées, cafardisées, qui semblent danser sur le papier comme dans son esprit. Ainsi, lire Kafka illustré par Barceló, ce n’est pas vivre par soi-même une transformation. C’est vivre en présence du métamorphosé, dans son à-côté, parmi les traces de ses projections et leurs effets qui font alors surgir l’insecte depuis les pages, comme une hallucination au coin de l’œil, dans le réel tangible du lecteur.
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La métamorphose selon Barceló
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : La métamorphose selon Barceló