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La mémoire de l’art

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2012 - 865 mots

Cabinets de curiosités, écrits d’artistes, documentaires, les archives de l’art sont riches et multiples.

Alors que désormais, même l’éphémère semble faire l’objet d’un devoir d’inventaire – ne voit-on pas la performance devenir l’objet de conservation, de documentation, d’inventaire, parfois pour sa réactivation ? — la mémoire de l’art se montre plus que jamais gourmande. Documenter, inventorier, compter, choisir, conserver : avant qu’il ne devienne « imaginaire » selon la formule de Malraux, le musée compte sur le nombre, le document, l’archive. Et cela plus encore depuis le milieu du XIXe  siècle quand « la culture des antiquaires des XVIIe et XVIIIe siècles se transforme en anthropologie » et que le musée prend forme, rappelle l’historienne et critique d’art Patricia Falguière dans la préface de l’édition attendue du « classique » de l’historien d’art viennois, Julius von Schlosser Les Cabinets d’art et de merveilles de la Renaissance tardive. Une référence que les éditions Macula font paraître aujourd’hui, selon le texte de l’édition initiale, en 1908. C’est que l’intérêt de von Schlosser pour les cabinets de curiosités documente sur la culture de la Renaissance tardive, au milieu du XVIe siècle, au travers de ses saisissants objets de curiosités venus par exemple ici du Grand cabinet d’art de Ferdinand, au château d’Ambras, près d’Innsbruck : « mosaïques de plumes de colibri et serrures artificieuses », « rouleau d’images et pierres historiées », astrolabe et dragons de cristal en passant par « la salière de Cellini », par tels échiquier-clavecin, animaux et plantes pétrifiés, cet olifant d’ivoire et ce morceau de la corde avec laquelle Judas se pendit, sans oublier coraux et œufs d’autruche…

Le vertige de la description et de la liste d’inventaire prend à la lecture. Mais à côté du savoir méticuleux et de l’érudition de l’historien, c’est sa perspective qui importe à Patricia Falguières, en ce qu’elle dessine l’avenir du musée et des modalités singulières de collectionnisme et de savoir qui gouvernent largement le musée moderne, comme les nôtre. Homme de musée dans la ville, Vienne, d’où sortiront tant de figures essentielles de l’histoire de l’art, von Schlosser contribue tout à la fois à ouvrir le champ du musée mais aussi de son public, en participant au « tournant muséal » du XIXe siècle, selon le mot de la préfacière (p. 19), qui reprendra aussi en postface l’histoire récente du « revival » du cabinet de curiosités depuis les années 1980 comme un autre symptôme. Ce sont ces enchaînements d’histoires qui font de ce livre bien autre chose qu’un trésor d’érudition.

Une mémoire pour partager
S’il hérite du XIXe siècle, le musée d’art contemporain ne cesse de voir sa vocation publique s’élargir, et la nature de ses objets se diversifier. L’hétérogène règne dans les formes de l’œuvre contemporaine, dans sa définition matérielle, mais aussi dans la part documentaire qu’entretient l’appétit de savoir de l’historien, du critique et assurément de l’amateur. Il n’y a qu’à voir comment le souci de l’archive est partagé, y compris par les artistes. La place de l’écrit d’artiste dans nos bibliothèques comme dans les dossiers d’œuvre des conservateurs croît, et personne ne s’en plaint ! Aussi le petit livre de l’artiste suédois Jan Svenungsson publié par l’École des beaux-arts de Strasbourg (devenue Haute école des Arts du Rhin) est bienvenu avec sa réflexion concrètement sur les spécificités de l’écrit d’artiste, à partir du point de vue concerné, toutefois sans s’offrir en modèle. L’ouvrage est précieux certes pour les étudiants des écoles de beaux-arts à qui l’on demande plus de maîtrise discursive, mais aussi pour tous les lecteurs, tant la lecture importe à l’auteur. Svenungsson, aujourd’hui professeur à Vienne, signe là non une méthode miracle pour rendre intelligents les artistes, mais le fruit d’une expérience et d’une pratique qu’il partage. La place très singulière du « je » et de la subjectivité dans l’écrit d’artiste y est envisagée de manière fine, et par l’exemple au travers de la lecture de nombreux textes comme ceux de David Hockney. Aujourd’hui traduit en plusieurs langues, ce volume contribuera sans doute à nourrir l’archive, en encourageant les artistes à l’écriture, pour communiquer certes, mais aussi et surtout comme outil de la pensée créatrice.

Des images pour témoigner
Mais l’archive est désormais aussi nourrie par l’image. À titre documentaire, les deux films de Jef Cornelis édités au travers d’une coproduction à multiples partenaires sous forme de DVD de 52 minutes chacun sont consacrés à deux éditions de la documenta de Kassel, 1968 et 1972, et laissent une large place à la parole des artistes dans des années décisives pour la mondialisation de la scène artistique. Les débats d’alors ont parfois un écho étonnant à quarante ans de distance.

Julius von Schlosser, Les cabinets d’art et de merveilles de la Renaissance tardive, traduit de l’allemand par Lucie Marignac, préface et postface de Patricia Falguières, 2012, Paris, éd. Macula, 372 p., 31 €

Jan Svenungsson, Ecrire en tant qu’artiste, traduit de l’anglais par Anne Bertrand et l’auteur, 2012, Strasbourg, éd. de la Haute école des arts du Rhin, 100 p., 12 €

Jef Cornelis, Documenta 4 (1968), Documenta 5 (1972), films, 2 x 54 minutes avec livret 24 p., introduction de Yves Aupetitallot, 2012, Paris-Zurich, coéd. bdv et JRP Ringier, 25 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : La mémoire de l’art

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