Un ouvrage de référence sur les usages et significations de la couleur est enfin disponible en français.
La bibliographie sur le sujet est encore bien mince. En France, le spécialiste de la couleur est l’historien Michel Pastoureau ; en Grande-Bretagne, son homologue est John Gage, ancien directeur du département d’histoire de Cambridge et membre de la British Academy. Voici plus de trente ans que ce spécialiste de Turner a mis sur le métier ce travail colossal, qui a abouti à une première publication en langue anglaise en 1993. Grâce au soutien de la Fondation de France et de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), celle-ci vient enfin d’être traduite en français. L’approche des deux spécialistes est toutefois différente. Contrairement au travail sémiologique de Michel Pastoureau né de ses recherches sur l’héraldique et la symbolique des couleurs, John Gage a privilégié l’écriture d’une grande synthèse historique de l’utilisation de la couleur dans les arts. La densité de son texte démontre à quel point cette histoire globale est difficile à appréhender, relevant d’un domaine à la fois sensoriel et scientifique. Une complexité sur laquelle ont souvent buté les artistes, confrontés par ailleurs à la difficulté matérielle de l’élaboration des couleurs. Certains ont accordé des valeurs symboliques ou religieuses aux couleurs, d’autres ont cherché à établir des hiérarchies chromatiques, d’autres encore ont initié le débat sur la primauté de la ligne au détriment de la couleur. Plus tard, la volonté de donner corps à la perception sensorielle des couleurs a ouvert la voie aux grandes révolutions picturales. Un projet qui s’inscrivait dans l’esprit de La Théorie des couleurs de Goethe (1810), prônant une approche subjective faisant de l’œil le seul outil d’analyse de l’expérience chromatique.
Au fil des chapitres, John Gage passe donc en revue les diverses théories, qu’elles soient artistiques, scientifiques, philosophiques ou religieuses, depuis l’Antiquité jusqu’au début du XXe siècle. Elles sont nombreuses, des plus empiriques, telle celle du philologue britannique Gladstone qui pensait, pour avoir analysé leur langage, que les Grecs étaient daltoniens, aux plus scientifiques avec Newton établissant l’échelle prismatique. Quelques pages abordent également le sujet sous un angle thématique : rapports entre les sons et les couleurs, rôle de la palette dans le travail du peintre. L’auteur met enfin à mal certaines théories du XXe siècle, qualifiées d’« idéologies », notamment celle de Josef Albers attribuant un langage propre aux couleurs. Sur le sujet de l’abstraction, son étude est donc parfois délibérément polémique. L’ensemble témoigne néanmoins d’une remarquable érudition, soutenue par un important appareil critique et ponctuée d’une iconographie bien choisie.
John Gage, Couleur et culture. Usages et significations de la couleur de l’Antiquité à l’abstraction, trad. Anne Béchard-Léauté et Sophie Schvalberg, éd. Thames & Hudson, 336 p., 79 euros, ISBN 978-2-87811-295-5.
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La couleur en somme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : La couleur en somme