Dans cet ouvrage, qui offre une réactualisation bienvenue de la monographie de référence sur Millet, Chantal Georgel débroussaille le mythe du peintre paysan.
La grande rétrospective de l’œuvre de Jean-François Millet (1814-1875) que devaient coproduire le Musée d’Orsay et la Réunion des musées nationaux-Grand Palais est restée dans les cartons. L’événement était pourtant attendu, la dernière grande manifestation parisienne sur le peintre remontant à 1975. L’éminent historien de l’art américain Robert L. Herbert tenait alors le rôle de commissaire. Rien d’étonnant à cela car, comme le précise Chantal Georgel dans sa nouvelle monographie sur l’artiste, l’œuvre de Millet, dans une très large proportion, se trouve aujourd’hui aux États-Unis. Aux collectionneurs américains de la fin du XIXe siècle ont depuis succédé des admirateurs japonais particulièrement fervents. La France aurait-elle oublié Jean-François Millet au point qu’il ne puisse faire l’objet d’une exposition qu’en qualité d’inspirateur de Vincent Van Gogh ? Une chose est sûre : elle s’est trompée sur cet artiste, qui, dès ses débuts, a nourri les fantasmes. Celui d’un « Michel-Ange des paysans », d’un créateur marginal car issu de la paysannerie, qui n’aurait trouvé son salut qu’en peignant ses pairs.
Pour déconstruire le mythe, Chantal Georgel, conservatrice en chef du patrimoine désormais conseillère à l’Institut national d’histoire de l’art (Inha), s’est notamment appuyée sur La Vie et l’œuvre de Jean-François Millet, monographie de référence commencée par Alfred Sensier, achevée par Paul Mantz à la mort de Sensier et parue en 1881.
Inspiration littéraire
Soigneusement documenté, l’ouvrage de Chantal Georgel offre une réactualisation bienvenue. S’il revendique ses racines paysannes normandes, l’artiste est fin lettré et s’est ouvert à l’histoire de l’art face aux riches collections du Musée d’art Thomas-Henry à Cherbourg. À l’atelier de Paul Delaroche, au sein de l’École des beaux-arts de Paris, il préfère les salles du Louvre où il aime se livrer à la copie des grands maîtres, avant de se consacrer au portrait une fois de retour à Cherbourg. Installé à Barbizon à la fin des années 1840, il y développe les thèmes qui feront sa renommée : le paysan à l’ouvrage. C’est là que les interprétations diffèrent et que, fatalement, les pistes se brouillent. Projetant leurs préoccupations sociales sur les toiles (exode rural, industrialisation, misère ouvrière…), de nombreux contemporains ont vu en Millet un peintre éminemment politique. Lecture qu’il réfutait, tout en concédant avoir un esprit profondément humaniste.
L’autre sujet de désaccord est la « vérité » dans ces tableaux : bien qu’il sache rendre avec précision tous les gestes du labeur, certains ont du mal à « croire » en ces sujets, sans doute trop taiseux à leur goût. Dans cette somme érudite et parfaitement accessible, Chantal Georgel identifie les modèles artistiques (principalement les écoles du Nord, avec Bruegel) d’un Millet très minutieux. Mais son inspiration est principalement littéraire et l’auteure note une faculté inattendue chez l’artiste, que l’on peut apparenter à la synesthésie : nombreuses sont les œuvres de Millet qui semblent résonner des textes qui l’ont touché.
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Jean-François Millet, peintre de légende
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Abonnez-vous dès 1 €Chantal Georgel, MilleT, éd. Citadelles & Mazenod, 2014, 400 p., 189 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Jean-François Millet, peintre de légende