Saint Sébastien est présent dans l’iconographie chrétienne depuis le Ve siècle. Pendant huit siècle son effigie est immuable. Il apparaît sous les traits d’un vieillard barbu, que l’on identifie grâce à son nom, Sebastos, inscrit au-dessous. Or au Quattrocento son image subit une transformation radicale. Le saint devient un jeune éphèbe dénudé au déhanchement savant.
Cet ouvrage superbement illustré nous éclaire sur la transformation et la prolifération d’un mythe.
Evitant les excès d’un « panofskysme non contrôlé », l’auteur s’appuie sans cesse sur des textes – écritures saintes ou laïques – ainsi que sur de nombreux exemples iconographiques pour tenter d’expliquer les sources d’un tel changement. Outre le contexte culturel, l’humanisme, des événements historiques destabilisants sont à prendre en compte. Les XIVe et XVe siècles assistent en effet aux épidémies de peste, à la chute de Constantinople, à celle des Médicis, en quelque sorte à la fin d’un monde et à l’aube d’une ère nouvelle. Selon la chronique de Paul Diacre, le culte de saint Sébastien fut choisi par les pestiférés à la suite d’un miracle. En effet, au VIe siècle une épidémie cessa à Rome et à Pavie après la construction d’un autel lui étant consacré. En raison du contexte pesteux, les confréries de saint Sébastien se développent particulièrement à la Renaissance, faisant systématiquement exécuter un tableau d’autel à l’effigie de leur saint patron. Autre évolution, la lecture de la Légende Dorée de Jacques de Voragine parue vers 1260, véritable « bible » pour les artistes, entraîne à partir du XVe siècle, une focalisation sur la scène du martyre du saint.
Un passage de ce recueil hagiographique se révèle déterminant. Il est écrit que Sébastien ne succombe aucunement aux flèches des archers, et ce détail justifie à lui seul qu’on l’invoque pour ne pas succomber aux traits de pestilence. Il est par sa nudité héroïque l’image d’un corps qui triomphe de la maladie. La sagittation va alors suivre deux voies : soit le saint est un bel adolescent sensuel, songeur, dont la nudité virginale préserve l’intégrité des corps ; c’est le modèle que choisit Antonello de Messine en 1476. Soit il est viril, athlétique, martyrisé au milieu des ruines de la Rome antique, emblème de la renaissance du stoicïsme au sein du christianisme, à la fois empreint de la virtù des Anciens et de la foi des Modernes. Pour les Italiens, Sébastien personnifie les temps nouveaux, il devient l’idole ambiguë de la Renaissance. Symbole de la modernité, il est d’ailleurs toujours associé à la construction perspective. Ce type quasi-paien va se répandre pendant deux siècles dans les sanctuaires sans que les prélats ne s’en formalisent, jusqu’à ce que la réforme tridentine ne lui substitue saint Roch, que l’on évoque désormais à sa place pour se préserver de la peste. Giovanni Paolo Lomazzo témoignait en effet en 1584 du trouble qu’occasionnait la nudité du saint sur les jeunes filles. L’auteur, maître de conférences à l’Université de Parie IV-Sorbonne, étudie pour finir le passage du sacré au profane ; Sébastien le séducteur se mue en Cupidon exprimant enfin librement la volupté d’une chair exaltée.
Jacques Darriulat, Sébastien le Renaissant, éd. Lagune, 1998, 250 p., 540 F, ISBN 2-909752-07-0.
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Jacques Darriulat : Sébastien le Renaissant
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°510 du 1 octobre 1999, avec le titre suivant : Jacques Darriulat : Sébastien le Renaissant