II est bien tentant de voir dans l’exposition qui s’est tenue en avril à la Bibliothèque Nationale un symbole : celui d’une victoire des nouveaux médias sur le papier imprimé.
La salle Labrouste vidée de ses livres est impressionnante, et plus encore quand un écran de projection et ceux de quelques ordinateurs sont à disposition des visiteurs. C’est un travail de Jean-Michel Othoniel qui est présenté là, A shadow in your window, œuvre sur CD-Rom. 26 scénarios pour les 26 lettres de l’alphabet, et une circulation dans des images à l’atmosphère fine et souvent étrange, qui rendent compte de l’imaginaire de l’artiste. La possibilité d’une « sortie-papier » des parcours sous forme de livre fait cependant tomber à plat l’argument de la rivalité des supports... Les images sont aussi accessibles en ligne par [www.caissedesdépôts.fr/shadow], comme il est de mise aujourd’hui. Encore que les projets en ligne tiennent bien souvent du catalogue d’œuvre (au mieux) ou du dossier de presse à peine amélioré au pire. On sera par exemple un peu déçu de la présentation de ses œuvres par Valéry Grancher par [www.imaginet.fr/nomemory/].
La présentation chronologique des projets, réalisations et autres story-boards d’installations produites d’exposition en exposition demeure un peu morte et rigide, même quand il s’agit de séries d’images. L’actualité y est présente, pas toujours très adroitement quand il est question de parler politique, mais avec plus de réussite avec Bombs, qui reprend à l’envie cette interrogation vertigineuse : Who bombs who ? Who bombs who ? Who bombs... Les appels à la réaction du visiteur voient ailleurs se retourner les questions (sur le ton du Qui es-tu ? Et toi donc !?) voire même l’ambition globale que l’œuvre se constitue en interface. Le travail sur les mots et le langage demeure cependant le plus convaincant, le plus adapté en tous cas à la circulation sur réseau, le plus juste. D’où la réussite des artistes de la veine conceptuelle, dont le trait commun est avant tout, non pas un intellectualisme dont il leur est fait grief par ignorance ou parti pris, mais l’usage du langage comme matériau. C’est le versant qui réussit le mieux à un Granger, c’est celui aussi sur lequel s’inscrit Jenny Holzer, artiste américaine connue pour ses énoncés et autres inscriptions, souvent montrés sur panneaux lumineux publicitaires ou par projections. Sur [www.adaweb.walkerart.org/project/holzer/], elle donne accès au défilement de ses Truisms écrits entre 1977 et 1979. Ce sont des phrases qui dans leur forme tiennent autant de la vérité pour discussion de comptoir que de la sentence, de l’adage, revêtues de l’autorité du lieu commun même quand elles confinent au non-sens. L’artiste propose au visiteur de reprendre, de transformer ses phrases et d’en produire de nouvelles qui s’ajouteront. L’interactivité prend vraiment sens ici, non seulement pour demander au visiteur de faire « quelque chose », mais parce que ces phrases sans auteur sont à leur place sur ce support de communication. Preuve d’une interactivité réelle, cette proposition d’un visiteur qui remplit plusieurs écrans d’un Yeeeeeeeeeeeeess d’acquiescement : il a dans cette affirmation envahissante toute l’ambiguïté de cette parole de la « doxa » sur quoi Holzer travaille habituellement.
Les artistes ont des noms bien moins connus, et parfois bien difficiles à prononcer, sur [www.scca.net]. Mais c’est peut-être bien là que la vitalité de l’art en réseau est des plus vives : il s’agit du réseau des Soros Centers, du nom du financier qui a permis la mise en place d’un réseau consacré entre autres à l’art contemporain. Avec des motifs idéologiques et personnels très forts et sans doute pas incontestables, il a aidé à mettre en place des structures consacrées à l’art vivant dans 18 pays « de l’Est », à partir de celui de Budapest en 1985, puis Prague et Varsovie en 1992. L’Internet a rempli un manque de moyens de télécommunications et s’impose comme un opérateur des échanges et de l’inventivité dans les régions centrales de l’Europe. Voir par exemple l’Internet Portfolio proposé par le Soros Center de Ljubljana, [www.ljudmila.org/scca/port.htm]. On y trouve de bons aperçus sur la créativité, certes irrégulière mais pas moins remarquable, qui inspire bien d’autres sites de ce réseau.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Internet et CD-Rom
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°507 du 1 juin 1999, avec le titre suivant : Internet et CD-Rom