Chimiste de formation, écrivain scientifique, Philip Ball livre ici une histoire atypique et passionnante de l’art, par la couleur. La couleur en tant que matière, substance, avec son poids, son odeur, sa texture, point de départ de toute œuvre peinte. La couleur qui est à la base, au-delà du sujet, de nombreuses mutations dans l’évolution de la peinture. Le prix des couleurs a déterminé la palette des peintres – la valeur considérable du lapis-lazuli au Moyen Âge, par exemple –, l’apparition de nouveaux pigments a suscité de nouvelles gammes chromatiques, la peinture en tube (apparue en 1841) a permis aux impressionnistes de développer leurs recherches en plein air, l’invention d’une couleur par Yves Klein dans les années 1950 – l’International Klein Blue, pour lequel il a déposé un brevet – a assuré sa célébrité. La couleur donne lieu dans l’histoire de l’art à de nombreux et vifs débats, dont les plus emblématiques sont ceux qui opposent les partisans de Poussin – défenseur du dessin qui prime sur la couleur – à ceux de Rubens au xviie siècle, ceux d’Ingres à ceux de Delacroix (qui utilisait vingt-trois pigments, soit la quasi-totalité des couleurs disponibles à l’époque) au XIXe siècle.
C’est une étude à la fois historique, scientifique, technique, symbolique, psychologique que nous livre ici l’auteur, résultat d’un travail titanesque puisque cette Histoire vivante des couleurs couvre 5 000 ans de peinture. Si l’on n’est pas spécialiste, certains chapitres sont ardus, notamment celui consacré aux techniques de reproduction intitulé « Capturer la couleur ». D’autres sont plus accessibles comme celui, particulièrement intéressant, sur l’exceptionnel développement de la chimie entre 1770 et 1820, période où explose la production de pigments pour les artistes. Turner sera l’un des grands coloristes de cette période, préférant les nuances subtiles de ses tableaux « atmosphériques » aux bruns utilisés dans la peinture académique qui continue de privilégier le dessin. Le chapitre suivant, « Le règne de la lumière », est consacré aux impressionnistes et à leurs suiveurs, étudiant la science des contrastes et le concept du mélange optique mis au point par Chevreul au début du xixe siècle. Son ouvrage De la loi du contraste simultané des couleurs (1839) est essentiel pour des peintres qui n’auront pas peur de juxtaposer un bleu et un orangé, un vert vif et un rouge (Claude Monet, Auguste
Renoir, en particulier). La couleur bleue a les honneurs d’un chapitre entier, auquel on sera libre de préférer l’ouvrage magistral de Michel Pastoureau (Bleu, paru en 2000), une étude sociologique et artistique limpide, depuis les origines jusqu’au fameux bleu de Klein.
Truffé de citations – souvent intéressantes, mais qui alourdissent le texte – et de références, le livre de Philip Ball s’adresse donc en premier lieu à des spécialistes, théoriciens et scientifiques, mais peut également se révéler très utile aux professeurs et aux étudiants.
Philip Ball, Histoire vivante des couleurs: 5 000 ans de peinture racontée par les pigments, Hazan, 360 p., 152 ill., 29 euros.
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Histoire vivante des couleurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°572 du 1 septembre 2005, avec le titre suivant : Histoire vivante des couleurs