Histoires de formes modelées dans la pierre et dans le tissu.
Hier : soit Ludwig Mies van der Rohe, qui fut l’un des architectes mythiques du XXe siècle. Ultime directeur du Bauhaus, auteur, entre autres, du pavillon allemand à l’Exposition internationale de Barcelone en 1929 (et de son corollaire la Barcelona Chair), des immeubles du Lake Shore Drive à Chicago en 1951, du Seagram Building à New York en 1958 et de la Neue Nationalgalerie à Berlin en 1968, il est passé à la légende grâce à deux petites phrases, à la fois lumineuses et mystérieuses : « Less is more » et « Dieu est dans les détails. » L’ouvrage que nous livre aujourd’hui Peter Carter est un parfait résumé, projet par projet, catégorie par catégorie, de l’œuvre du grand architecte germano-américain. Seul petit regret, le titre, Mies van der Rohe au travail, qui nous laisse penser que nous allons pénétrer au plus profond de la pensée, de la démarche, de la pratique, de la chair même de Mies (ce que l’on trouvera néanmoins, éparpillé au fil des « Éléments biographiques »). Le Travail de Mies van der Rohe aurait, à l’évidence, été plus juste.
Aujourd’hui : soit Marie Mercié et ses étonnantes, amusantes, parfois extravagantes petites architectures mobiles. Marie Mercié est chapelière, après avoir été artiste, journaliste, « speechwriter » très culturelle, et elle fête avec ce livre le vingtième anniversaire de sa maison.
Merveilleusement photographiés ici par Iris L. Sullivan, ses chapeaux ont coiffé les têtes les plus modestes comme les plus branchées ou les mieux couronnées. Aucune limite aux constructions de Marie Mercié, avec un sens de l’équilibre et un génie invraisemblable dans l’écriture plastique. Au fil des pages, Marie Mercié raconte et se raconte dans son style inimitable où la rigueur le dispute à la fantaisie, et l’émotion à la fulgurance.
L’occasion de prendre conscience que le vêtement est le premier de nos environnements mécaniques et que le vocabulaire de la mode est très souvent identique à celui de l’architecture. Sans oublier tous ces créateurs qui furent initialement, ou rêvèrent d’être, architectes : André Courrèges, Paco Rabanne, Gianfranco Ferré, Jean-Charles de Castelbajac, Issey Miyake…
On imagine bien, d’ailleurs, en lieu et place de petites architectures mobiles, des lieux créés par Marie Mercié et où la couleur, les traversées, les transparences, les échappées belles seraient reines.
Demain : soit ce que nous préparent au creux de leurs ateliers et au plus profond de leurs machineries informatiques les architectes émergents. Avec son Architecture Tomorrow, Francis Rambert nous livre un état des lieux fondé moins sur son expérience que sur son insatiable curiosité. À l’instar de bien des architectes, il passe d’un avion à l’autre, saute d’un fuseau horaire à l’autre, court le monde de Tokyo à São Paulo, de Madrid à Shanghai, de Paris à New York, d’Amsterdam à Johannesburg… Et en rapporte une moisson de réalisations, projets, idées et plans tirés sur la comète, ici rassemblés.
Quatre chapitres divisent ce livre qui va du brouillage des pistes au nomadisme, de l’iconolâtrie à l’éloge du banal, du symbolique à l’expérimentation. Tous les grands noms actuels y figurent, mais également des noms inconnus qui, à l’évidence, sont en route pour édifier le monde de demain.
Pour autant, il ne s’agit en rien du catalogue des « gestes architecturaux » les mieux célébrés et les plus attendus. Rambert précise, à cet égard, qu’il s’est moins attaché à une « revue des tendances » qu’à une « analyse des attitudes ».
Essentiel, Architecture Tomorrow est aussi indispensable à tous ceux qui s’intéressent à l’architecture, non pas seulement en termes de bâtiment et de construction, mais aussi en matière de civilisation, de culture, de technologie, d’économie politique, de sens et de symbolique. Car là est l’essence même du travail de Rambert : mise en lumière certes mais, par-dessus tout, mise en perspective. Un travail de fond, sérieux et documenté, et servi par une langue, une écriture, simples, lisibles, accessibles, inspirantes.
- Peter Carter. Mies Van Der Rohe au travail, éd. Phaidon, 192 p., 39,95 euros, ISBN 0 7148 9439 7. - Marie Mercié et Iris L.Sullivan. Les chapeaux de Marie Mercié, éd. Solar, 132 p., 40 euros, ISBN 2-263-03709-8. - Francis Rambert. Architecture tomorrow, éd. Terrail, 256 p. 38 euros, ISBN 2-87939-281-0.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Hier – Aujourd’hui – Demain
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Hier – Aujourd’hui – Demain