Suivant pour l’essentiel un sage canevas chronologique, la monographie de Fred Licht, richement illustrée, n’offre qu’une vision superficielle et périmée de Goya, faute d’une réflexion intime sur les œuvres et d’une connaissance précise de leur contexte. L’auteur des Peintures noires méritait mieux.
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828) appartient à ces quelques artistes dont l’œuvre irréductible à son temps, rétive à des interprétations stéréotypées, a exercé une fascination intacte sur les générations successives. Aux confins de l’art et de la vision, les hordes hirsutes et grimaçantes des Peintures noires, images d’une humanité déchue plongée dans les ténèbres, d’un monde livré à l’effroi, à la violence et à la mort, demeurent, deux siècles après, les vivantes figures des tourments et des terreurs qui hantent l’âme humaine. De l’auteur d’une monographie sur Goya, on attend qu’il se mette au diapason d’un œuvre visionnaire et complexe. Or, tout au long des 350 pages de son ouvrage, Fred Licht, conservateur du Musée Guggenheim à Venise, aligne les généralités et les lieux communs : “Dès les origines dans les cavernes préhistoriques, l’art, selon la terminologie moderne, fut essentiellement ‘conservateur’.” “Tout comme l’art au Moyen Âge était concentré autour des cathédrales, l’art au XVIIIe siècle l’était autour du salon.” “Goya fut le premier artiste à envisager la problématique moderne opposant l’art à l’ornementation, et ses conclusions furent, elles aussi, typiquement modernes puisqu’il rejeta la fonction ornementale de l’art.” La connaissance et la compréhension de l’évolution sociale et politique de l’Espagne s’avère pour le moins superficielle et dénuée de nuances.
Pour expliquer le génie et la singularité de Goya, Fred Licht convoque toutes les gloires de la peinture passée et future : Michel-Ange, Rubens, Titien, Rembrandt, Velázquez, Fragonard, Tiepolo, Guardi, Delacroix, Manet, Renoir, Picasso, Rothko, et on en passe. Il reste en revanche bien timide dans ses tentatives de relier l’art de Goya à celui de ses contemporains européens, comme Fuseli. Le parallèle, ou plutôt l’opposition systématique avec David, se révèle par ailleurs complètement dépassé et oiseux. Le titre original en espagnol Goya : tradición y modernidad fleure bon l’ancien temps et indique, si besoin était, le caractère irrémédiablement daté de l’entreprise.
Pourtant, l’auteur fait preuve d’un désir louable de rester au plus près des œuvres, et s’attarde volontiers sur des peintures plus secrètes telles La Dernière Communion de saint Joseph de Calasanz ou Le Christ au jardin des Oliviers. Et il s’attache parfois à proposer des interprétations intéressantes comme pour La Famille de Charles IV, tableau dont la présence d’un miroir livrerait la clé. Mais, à l’issue de ce que l’auteur définit comme un essai, aucune image précise et renouvelée de l’artiste n’émerge de cet ouvrage par ailleurs richement illustré. Il semble ignorer la foisonnante bibliographie relative à l’artiste, et peut affirmer sans ciller que “l’étude du portrait au XVIIIe siècle n’en est encore qu’à ses balbutiements”. Précisons enfin que le portrait de la Comtesse de Chinchón, l’un des plus célèbres de Goya, n’est plus dans la collection des ducs de Sueca, comme il est indiqué dans le livre, mais au Prado, depuis plus d’un an.
- Fred Licht, Goya, éd. Citadelles & Mazenod, 360 p., 300 ill., 880 F jusqu’au 30 juin, 1 100 F après. ISBN 2-85088-112-0.
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Goya privé de lumière(s)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Goya privé de lumière(s)