C’est au gré d’une balade en VOD qu’on a déniché, presque par hasard, un curieux petit thriller espagnol de Gerardo Herrero, proposé aux Français sous un titre anglais intrigant : The Goya Murders.
Madrid, de nos jours. Carmen et Eva, inspectrices de police, débarquent sur une scène de crime particulière. L’assassin semble avoir grimé sa victime selon un rituel incongru. Les deux femmes ne s’entendent pas, tirent des conclusions contradictoires, et l’enquête piétine jusqu’à ce qu’un second meurtre ouvre une piste parfaitement inédite. Avec les corps de ses victimes, l’assassin met en scène des détails des Caprices de Goya ! Et revoici le psychopathe esthète. En 1995, il y eut Seven de David Fincher, où Kevin Spacey calquait ses crimes sur des représentations des sept péchés capitaux. En 2018, Lars von Trier inventait dans The House that Jack Built un serial killer qui composait des tableaux à base de victimes empaillées. S’il n’y a rien d’artistique dans la barbarie d’un assassinat, un corps peut-il devenir une œuvre ? Après tout, en 1854, Thomas de Quincey publiait un célèbre ouvrage satirique intitulé De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts. Au siècle suivant, Damien Hirst exposait une photo de lui ado et hilare auprès d’une tête de cadavre. Si le scénario de The Goya Murders n’entrouvre pas ce questionnement de la place du mort dans l’art, il interroge celle de Goya dans l’Espagne contemporaine. D’appartements chics en salles des ventes, pour Gerardo Herrero le monde raillé et gravé par les « caprices » de Goya à la fin du XVIIIe siècle n’a pas beaucoup évolué. La corruption règne toujours, et les croquis de Goya des trognes du petit peuple servent désormais de monnaie parallèle à quelques ultrariches malhonnêtes. À ce titre, une jolie scène se détache de ce polar lambda. C’est une modeste employée de maison asiatique qui va mettre nos policières sur la piste de Goya. Elle leur fait signe de la suivre, les trois femmes quittent le bel appartement de la victime pour traverser le quartier chic de Salamanca et descendent dans les couloirs de la station Goya. Un court trajet, des hauteurs aux profondeurs de la ville, filmé avec une jolie fluidité. Enfin, dans le raffut des rames et l’onde floue de la foule, on découvre, affichées sur le quai, les reproductions des fameux Caprichos. Ainsi, au XXIe siècle, Goya reste cet artiste total, dont l’œuvre encadrée appartient aux appartements luxueux, mais dont le cœur bat encore pour les déshérités du royaume, au tempo du métro de Madrid.
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Goya dans le métro
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°735 du 1 juillet 2020, avec le titre suivant : Goya dans le métro