Francesco Careri, Walkskapes.La marche comme pratique esthétique

Ce serait une erreur, car si sa présentation est peu séduisante pour un livre de la collection « Rayon art », son contenu transporte littéralement le lecteur. Qui n’a jamais lu avec son dictionnaire ouvert à proximité de lui, progressivement fatigué à force de recherches répétées ? Ici, le concept est d’intégrer dans le livre, sur des pages colorées, l’explication, la description et l’illustration des idées. Ainsi, peut-on suivre aisément les démonstrations. L’ouvrage respecte un déroulé chronologique en partant du menhir – « Leur érection représente la première action humaine de transformation physique du paysage » – pour finir sur la disparition du « signe » architectural au profit d’une ville nomade en « redonn [ant] vie à des dispositions primitives qui permirent à Abel (l’âme nomade de l’humanité au contraire de son frère Caïn – l’âme sédentaire) d’habiter le monde ». Tout au long de l’ouvrage, le lecteur explore « le besoin primitif de l’art » défini par Hegel dans son Esthétique ou l’entropie selon Lévi-Strauss, tout comme « l’action de parcourir l’espace utilisée – par Dada puis les surréalistes – comme forme esthétique capable de se substituer à la représentation et d’attaquer ainsi, frontalement, le système de l’art ».
Le cœur de l’ouvrage est sans aucun doute le questionnement autour de la notion même d’art de la pratique qui voit disparaître l’objet. Ainsi, Michael Fried, réagissant sur le récit de voyage de Tony Smith sur une autoroute en construction dans la périphérie de New York (publié dans Artforum en 1966), déclarait : « Cette expérience […] témoigne […] et révèle précisément dans l’absence de l’objet et dans ce qui prend sa place, ce que l’on pourrait appeler la théâtralité de l’objectité. » Avec le Land Art, et par la pratique même de la marche, que devient l’œuvre ? Est-elle la transformation par l’artiste de l’environnement, les prises de vue qu’il en fait, les témoignages qu’il laisse, l’expérience des spectateurs ?
Comme l’affirme Francesco Careri, dans les pratiques artistiques qu’il évoque, « il semble qu’il y a presque une volonté de recommencer l’histoire du monde, de retourner à un point zéro où retrouver une discipline unitaire, où l’art de la terre – en ce sens, le terme earthworks employé par Smithson semble plus convaincant que le terme Land Art – est l’unique moyen disponible pour se confronter à l’espace naturel et au temps infini ».