Architecture - Livre

ARCHITECTURE

Fernand Pouillon, l’autre moderniste

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 14 février 2024 - 487 mots

Un ouvrage collectif examine quasi scientifiquement l’œuvre prolifique de cet architecte pragmatique de l’habitat social, en France et en Algérie.

: dès l’introduction de l’ouvrage collectif consacré à l’architecte qu’il dirige, Pierre Frey met en garde contre toutes fausses attentes. Il s’agit ici de relancer un intérêt académique interdisciplinaire (histoire de l’art, histoire, anthropologie, sociologie) pour l’œuvre d’un bâtisseur exceptionnel. Des archives éparpillées, des témoignages rares et biaisés, quelques tabous et une légende sombre transforment ce travail en un véritable parcours d’obstacles, dont Fernand Pouillon, le téméraire éclectique, publié aux éditions Actes Sud, entend faciliter le franchissement.

Un « maître d’œuvre »

Du rôle de Pouillon durant l’occupation allemande à Marseille à son statut d’architecte colonial dans l’Algérie française (qui dit « regrette[r] la conquête » et continue à œuvrer dans l’Agérie indépendante), cet ouvrage polyphonique donne les clefs contextuelles nécessaires à l’examen critique d’un corpus dont les limites restent encore à définir. L’immensité de cette œuvre s’apprécie dans un tableau statistique : 250 programmes construits par Pouillon, contre une cinquantaine pour Le Corbusier. Le chantre du modernisme tient lieu ici de figure repoussoir : sa théorisation excessive a été peu féconde si on la compare au pragmatisme de Fernand Pouillon, qui se définit avant tout comme un « maître d’œuvre ».

« Autant d’admiration que de vigilance » est nécessaire pour aborder cette figure de l’architecture du XXe siècle, comme l’énonce l’architecte algérienne Louiza Issad. L’étude de Pouillon exige également d’oublier les références habituelles pour réécrire l’histoire de l’architecture moderniste : aller chercher chez Auguste Choisy (1841-1909) ou Julien Guadet (1834-1908) une définition juste de l’éclectisme ; plonger dans le contexte de l’architecture coloniale en vigueur en Algérie, entre aménagement martial et concentrationnaire et attention maladroite portée aux spécificités locales du bâti. Pour trouver un maître d’œuvre comparable à Pouillon, ce n’est pas parmi ses contemporains que les auteurs sont allés chercher, mais dans l’Istanbul du XVIe siècle : Sinan Ibn Abdullah, constructeur infatigable au service du pouvoir ottoman, semble être le seul à pouvoir tenir la comparaison, du point de vue tant de la quantité d’ouvrages produits que de son sens du métissage des modes constructifs.

Des grands programmes d’Alger au Vieux-Port de Marseille, c’est bel et bien de logements dont il est question ici. La principale préoccupation de Pouillon réside dans l’expérience de l’habitat, dans la façon dont il est vécu. Là encore, l’ouvrage met en exergue la différence avec Le Corbusier et sa « machine à habiter », et invite à remettre en question la prégnance toute théorique du modernisme sur les grands chantiers de logements menés après guerre.

Au-delà de son sujet, ce livre ouvre également une réflexion importante sur la photographie d’architecture – que Pouillon jugeait trompeuse – ici remplacée par les relevés, dessins et perspectives de trois architectes contemporains (Bernard Gachet, Mohamed Larbi Merhoum et Louiza Issad) : un parti pris qui fait de cette invitation à la recherche une expérience sensible et subjective, ainsi que Fernand Pouillon imaginait l’architecture.

Fernand Pouillon, le téméraire éclectique, Pierre Frey
(sous la direction de), éd. Actes Sud, 368 p., 42,90 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°627 du 16 février 2024, avec le titre suivant : Fernand Pouillon, l’autre moderniste

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