Que voit-on lorsqu’on plonge son regard dans une œuvre ? Que se joue-t-il de soi dans l’image qui s’imprime au plus profond de nous ? Il apparaît assez nettement à ceux qui ont la chance de porter des lunettes que les yeux ne participent que peu à la vision.
C’est le cerveau, à l’ombre de sa boîte noire, qui fabrique les images du monde et de sa population de choses. En retour, le regard, par l’acte volontaire de voir, projette aux alentours sa science et son savoir. Où qu’il se pose, il s’impose. Car il faut savoir voir. Il faut en avoir vu, il faut en avoir su, pour soudain se voir apercevoir, pour qu’il se fasse en nous l’essence d’un éclair, d’un génie, un extrait de magie, une lumière. De la même manière qu’apprendre, c’est imiter, voir, c’est comprendre, et recomposer les éléments sensibles dans une chorale qui fait sens. Et si cette lumière est celle de comprendre ce qui nous entoure, autant dans ses mouvements, dans ses traits et dans ses couleurs, c’est avant tout l’espace d’un écho, le lieu d’une pensée sans les mots, à laquelle il ne manque plus que l’expression. C’est la trace d’une présence à son état de sens. Ce n’est pas tant que l’image vient des mots. Mais que les mots et les images ont en commun d’être les fruits d’une fiction. Un être comprend ce qui l’entoure, il en emporte quelque chose avec lui et se l’explique en en formant des images. Aussi, et par essence, chaque mot est une image, par son pouvoir de métaphore ; chaque vision est un récit, une parole, par son essence de représentation. Les deux sont l’expression de notre pouvoir de combinaison, de recomposition, de création qui nous relie en tout point au dessein de l’artiste. Dans la contemplation d’une œuvre, il y a une part d’empathie, comme une participation au geste initial de l’artiste formulé en soi, jusqu’à parfois en effleurer la tension d’une intention, un mime, une imitation. Dans un même mouvement, il y a dans le regard une participation à la parole muette des œuvres, à leur mythe, à leur sens. C’est tout le pouvoir d’évocation et de recréation au sein de soi d’une métaphore. Une parole spectatrice. Et c’est aussi tout ce qui fait la puissance de l’art. Si, selon Lao Tseu, celui qui sait se tait, l’art du regard critique est alors celui de la recherche, du doute, de la quête. Sous trois angles, sur trois modes, Normand Biron, Jean Galard et Laurent Jenny questionnent notre vision, explorent notre regard, épient les non-dits, et, entre la présence et le sens, entre silence et folie, offrent aux choses muettes d’y prolonger leur énigme.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Explorer le regard