Presse

Décor, 496 pages « vulgaires »

Par Anne-Charlotte Michaut · L'ŒIL

Le 25 octobre 2022 - 474 mots

Après un premier numéro dédié au « décor », la revue éponyme produite par l’École des arts décoratifs, consacre son second opus au « vulgaire », un terme « d’une polysémie redoutable pour la pensée », selon Emmanuel Tibloux, directeur de l’établissement.

Avec pour ambition de parler de l’environnement créatif contemporain de manière à la fois globale et transversale, cette revue traite aussi bien d’art visuels, de design, de mode, de cinéma, de graphisme que de gastronomie. Elle est également collégiale : le graphisme volontairement kitsch – et très réussi – a été réalisé par le studio Kiösk, fondé par deux anciens étudiants de l’école, tandis que la direction éditoriale a été assurée par deux enseignantes et une étudiante : Judith Abensour, Elsa Boyer et Rose Vidal. Considérant le vulgaire comme une « notion qui incarne toutes les tensions de notre époque », ces dernières ont voulu « faire du vulgaire un processus, un mouvement, une dynamique dont la dimension transgressive et critique repose sur une constante remise en cause des critères de jugement ». Pour ce faire, elles ont rassemblé une soixantaine de contributions (textes théoriques, poétiques ou fictifs, entretiens, portfolios, etc.) qui permettent, ensemble, d’appréhender la complexité du « vulgaire » et ce qu’il nous apporte en termes d’outils réflexifs pour comprendre notre société contemporaine. Après une partie introductive, intitulée « cartographie sensible du vulgaire », les réflexions et expérimentations se déploient dans trois thématiques qui se sont « imposées » aux directrices éditoriales lors de leur travail préparatoire de près de quatre ans : « vulgaire et société des médias / formes populaires, vulgaires et démocraties / mauvais genre : corps genrés, corps racisés ». Dans cette vaste compilation, on croise des figures politiques (Donald Trump, Vladimir Poutine ou Nicolas Sarkozy), littéraires (Witold Gombrowicz), artistiques (Honoré Daumier, Mike Kelley), cinématographiques (John Waters) ou musicales (Eminem) ; on y parle autant de TikTok et de culture audiovisuelle que de littérature, de féminisme ou de design ; on est tour à tour projeté dans les salons aristocratiques du XVIIIe et dans les communautés queer sud-africaines. D’une très grande richesse, à la fois théorique, critique, conceptuelle et esthétique, cette revue nous propose une passionnante traversée transhistorique et transdisciplinaire aux confins du kitsch, du mauvais goût ou de l’obscène, tout en constituant un plaidoyer pour une revalorisation du vulgaire, au sens du communément partagé.

[VULGAIRE] 

Mot issu du latin vulgaris, signifiant « qui concerne la foule », « général, ordinaire, commun, banal ». Alors neutre, c’est au XVIIIe siècle que le mot se teinte d’une connotation péjorative, reflet de l’idéologie et de l’organisation sociale de l’époque. Le vulgaire devient le commun au sens de médiocre, et est abondamment utilisé par les hautes sphères pour qualifier les classes populaires. Aujourd’hui, le terme reste encore largement empreint de cette dimension négative, mais une stratégie de retournement est à l’œuvre afin de lui rendre son acception première. Sa polysémie en fait un passionnant outil de réflexion sur la société actuelle.

« Décor n° 2 »,
496 p., 25 €, revuedecor.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°759 du 1 novembre 2022, avec le titre suivant : Décor, 496 pages « vulgaires »

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