L’ouvrage que le Musée d’art et d’histoire de Genève consacre à une prestigieuse collection de monnaies et gemmes antiques réjouit par sa science et par son élégance – souveraines.
Il est des sujets plus confidentiels que d’autres. Des sujets qui, réputés ardus ou auxiliaires, demeurent la chasse gardée de conservateurs zélés et d’amateurs obsédés. Des sujets qui, requérant des connaissances singulières, intimident les béotiens. Fort heureusement, il est des livres qui permettent de franchir les seuils et d’ouvrir les portes de la connaissance afin d’accueillir les curieux et les profanes. Cet ouvrage est assurément de ceux-ci.
En 2001, grâce à la libéralité du collectionneur Carlo-Maria Fallani, le Musée d’art et d’histoire de Genève s’est enrichi d’une collection exceptionnelle de monnaies antiques, en circulation durant la République romaine. Afin de mettre en valeur ces sublimes deniers, il fut décidé de les faire dialoguer avec certaines des plus belles gemmes de l’institution genevoise, à condition que chaque pièce représentât un animal. Ce faisant, le résultat compose un stupéfiant bestiaire, où le familier le dispute à l’étrange, le domestique au sauvage.
Sobriété
Relié, de format presque carré (25,2 x 26,2 cm), l’ouvrage dissimule sa couverture anthracite sous une sobre jaquette : le fond noir accueille le splendide détail d’une monnaie antique, figurant une louve déposant un morceau de bois sur un feu attisé par un aigle battant des ailes (45 av. J.-C.), et le titre du livre en lettres ambrées.
La quatrième de couverture, qui reprend, en l’inversant, le même parti chromatique, héberge une note d’intention précisant l’enjeu polyédrique de ces monnaies en argent qui « véhiculaient la propagande politique, les croyances religieuses, certaines histoires ou légendes servant à asseoir la réputation des familles qui cherchaient à s’illustrer dans la cité ».
Succédant à une préface protocolaire et à un texte de l’association Hellas et Roma, les essais des deux directeurs de la présente publication reviennent diversement sur la genèse, l’ambition et l’ampleur de ce projet choral. Tandis que Carlo-Maria Fallani retrace la constitution de sa collection, amorcée par son grand-père, Matteo Campagnolo, conservateur du cabinet de numismatique, s’emploie à caractériser les liens symboliques et les relations, souvent sacrificielles, des Anciens avec les animaux.
Rigueur
Indiscutable est la rigueur intellectuelle de l’ouvrage, ainsi que l’attestent l’avertissement liminaire, exposant le modus operandi ayant présidé à cette collaboration, tout comme la description des illustrations – chaque notice abrite des considérations techniques et bibliographiques, une liste des sources et, plus encore, une ébouriffante nomenclature développant les noms vernaculaires et scientifiques conférés aux animaux dans diverses langues (latin, grec, allemand, anglais, arabe, espagnol, français, italien), laquelle comblera sans conteste « le zoologue antiquisant et l’antiquisant zoologue ».
La présentation des œuvres répond à un classement phylogénétique, divisé en trois grands ensembles (« mollusques », « arthropodes », « vertébrés ») et soixante-deux séquences animalières (« scorpion », « abeille », « dromadaire »). Ce choix taxinomique, respectueux de la littérature zoologique – d’Aristote à Léon Bertin –, permet de créer des rapprochements efficients quand une organisation strictement plastique eût été scabreuse, car proprement arbitraire. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à regarder la séquence consacrée aux « mammifères marins » : la comparaison entre le dauphin, représenté par une intaille en jaspe rouge (IIe-IIIe siècle apr. J.-C.) et par deux délicates monnaies (49 et 46 av. J.-C.), et le phoque, convoqué par un denier (72 av. J.-C.), permet de mesurer les affinités formelles, et parfois symboliques, s’agissant d’animaux pourtant regroupés à la faveur de leur seule conformation anatomique.
Aura
Si chaque œuvre jouit d’un texte savant – la séquence réservée au lièvre donne ainsi lieu à de savoureux développements lexicaux ou homonymiques et renseigne sur la pratique de la chasse ou la signification pédérastique de l’animal –, les photographies, signées Luigi Spina, assument un rôle fondamental.Systématiquement placées en belle page et disposées sur fond noir, les illustrations, dont le lecteur regrettera qu’elles ne soient pas numérotées pour faciliter la navigation avec les légendes, avivent la beauté des pièces : les monnaies voient leurs deux faces représentées (l’une à la faveur d’un détail spectaculaire, l’autre à l’échelle 2:1, en vis-à-vis) quand les gemmes sont toujours reproduites dans leur intégrité physique.
Absolument splendides, les illustrations excèdent le simple document et, à ce titre, évoquent les plus belles heures des éditions Zodiaque. Par leur qualité comme par leur léger halo, d’un pouvoir parfaitement maîtrisé, ces photographies parviennent à renforcer l’aura des œuvres, cette présence mystérieusement ineffable qui harcèle la mémoire…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
De l’aigle à la louve
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : De l’aigle à la louve