Il est des livres pour lesquels vous vous en voulez de ne pas avoir suivi de cours de grec, d’avoir été hermétique aux auteurs classiques et de n’avoir pas été curieux de la mythologie antique.
Laocoon de Gotthold Ephraim Lessing, texte paru pour la première fois en 1766 aujourd’hui réédité chez Klincksieck (332 p., 25 euros), est de ceux-là. Si le titre évoque une sculpture antique grecque représentant le Troyen Laocoon se faisant étouffer avec ses fils par deux serpents envoyés par Athéna, le véritable propos du texte est de réfléchir aux frontières entre peinture et poésie. Mais dans son introduction, Frédéric Teinturier l’annonce à brûle-pourpoint : « Le Laocoon est un livre difficile d’accès, dont la lecture est rendue malaisée par sa forme même. » Et d’ajouter : « Les thèses avancées dans le Laocoon sont peu originales […] et peuvent être assez rapidement résumées… » Dès lors, pourquoi le relire à présent ? Parce que s’y attaquer, c’est se confronter à ses propres lacunes. Ainsi l’édition de 1766 n’avait-elle pas besoin d’éclairer les citations grecques et les références mythologiques par une batterie de notes devenues nécessaires aujourd’hui au risque sinon de ne plus comprendre le texte, symptôme d’une culture large et solide désormais révolue. Mais s’y attaquer, c’est aussi réveiller sa propre réflexion engourdie par les actuels ouvrages d’ultravulgarisation, par son manque d’exigence. Grâce au Laocoon, donc, l’esprit se ranime et les références reviennent. Le chapitre VII débute ainsi : « Quand on dit que le sculpteur imite le poète ou que le poète imite le sculpteur, cela peut signifier deux choses. Soit l’un fait de l’œuvre de l’autre le véritable objet de son imitation… soit ils ont tous deux le même objet et l’un emprunte à l’autre sa manière particulière de reproduire cet objet… » Comment ici ne pas penser au Walter Benjamin de L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (Photosynthèses, 24 euros) ? Lorsque, au chapitre IV, Lessing évoque le mythe de Philoctète, comment ne pas songer à Oh les beaux jours de Samuel Beckett ? Il ne s’agit pas ici de limiter l’intérêt de la lecture du Laocoon à ce qu’il évoque en dehors de lui. La force de l’ouvrage est de développer une réflexion et un esprit critique. Au chapitre XXIX, Lessing déclare : « Il semble que diverses erreurs aient pu être présentes dans l’Histoire de l’art uniquement parce que M. Winckelmann, pour aller plus vite, a préféré faire référence à ce que rapportait Junius et pas aux sources mêmes. » Avoir du recul sur tout, voilà l’essentiel.
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De la salubrité de l’esprit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : De la salubrité de l’esprit