L’esprit de l’œuvre d’art totale, étudié par Marcella Lista, a imprégné quelques révolutions artistiques majeures du XXe siècle.
Revenant sur les bouleversements artistiques précédant la Première Guerre mondiale, Marcella Lista – historienne de l’art et responsable du programme scientifique de l’Auditorium du Louvre – consacre un essai, issu de sa thèse, à l’œuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes. À travers une sélection représentative de chefs-d’œuvre de l’art scénique expérimental des années 1908 à 1914, six chapitres éclairent les méandres mystiques et révolutionnaires que recouvrent les pratiques de l’œuvre d’art totale…
Au cœur du XIXe siècle, des mouvements artistiques et littéraires héritiers du romantisme allemand – Nabis, symbolisme et ésotérisme – entretiennent une vision mystique du monde. Ils s’emploient à révéler le dialogue qui lie l’homme à la Nature à travers la correspondance entre les sens, ce que Charles Baudelaire traduit dans son célèbre vers « les parfums, les sons et mots se répondent ». Partagées entre l’attirance et le rejet de cette forme de spiritualité, les avant-gardes du XXe siècle vont réinterpréter l’œuvre mystique par excellence : l’œuvre d’art totale ou « Gesamtkunstwerk », « synthèse » des arts imaginée par Richard Wagner dans L’Art et la Révolution en 1849. Mêlant le pictural à la musique et au scénique, l’union des arts est destinée à refléter l’unité profonde de la vie et à immerger le spectateur dans cet univers sensible…
Marcella Lista souligne la résurgence de cette théorie au XXe siècle à travers la pièce musicale du compositeur russe Alexandre Scriabine, Prométhée, le poème du feu (1911), où des faisceaux lumineux colorés traduisent sur scène les notes de musique. Le ballet Sonorité jaune, signé par Wassily Kandinsky en 1912, est également empreint de la conception wagnériennne. L’artiste va pourtant amorcer le dépassement de ces préceptes en considérant chaque art de manière autonome dans son ouvrage Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier (1911). Kandinsky s’éloigne alors de la définition mystique de l’œuvre d’art totale – la symbiose des arts – pour rejoindre celle de l’art monumental, ou interférence de formes artistiques distinctes…
Cette discordance se creusant, l’auteure analyse comment la « synthèse » des arts s’est renversée d’une part en une abstraction à visée spirituelle – tel le suprématisme de Kazimir Malévitch –, d’autre part en l’implosion de l’œuvre d’art totale par l’intrusion d’éléments prélevés dans la réalité (gestuelles, bruits…), comme dans les pratiques des futuristes italiens. Loin d’une union des arts et d’une quête spirituelle, les futuristes proclament la tabula rasa, et conçoivent l’art, entièrement tourné vers la nouveauté et l’avenir, comme une révolution. Tandis que l’œuvre d’art totale prend un caractère festif, l’objectif principal est de transmettre « le mouvement vertigineux et grandissant de la vie » (Filippo T. Marinetti).
Nébuleuse des utopies et désillusions, l’œuvre d’art totale va concourir ainsi aux conquêtes artistiques les plus étonnantes, de la performance au film abstrait…
- MARCELLA LISTA, L’œuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes, éd. INHA, collection « L’art et l’essai », 2006, 355 p., 45 euros, ISBN 2-7355-0545-6
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De la mystique avant toute chose...
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : De la mystique avant toute chose...