Grâce soit rendue aux éditeurs inventifs, cultivés et courageux, une catégorie qui n’est finalement pas si étendue qu’on pourrait le croire. Ils sont le sel de la terre lorsqu’ils nous proposent un ouvrage comme les mémoires de Wilhem Uhde, cet homme d’un esprit rare, trop injustement oublié aujourd’hui alors qu’il fut un des acteurs du monde de la peinture dès le début du XXe siècle. Né en 1874 dans une famille de la haute bourgeoisie prussienne, il échappa à son destin de magistrat lors d’un voyage en Italie. L’art désormais régnerait sur sa vie. En 1904, il débarque à la gare du Nord, à l’instar de tant de peintres dans ces années-là. Lui ne vient que voir. Mais ce jeune homme élégant, d’une nonchalance aristocratique, doté d’un humour qui l’accompagnera avec bonheur dans des moments sombres, possède un œil exceptionnel. Par hasard, il déniche chez un brocanteur un tableau qui lui plaît. Le peintre est inconnu, il le rencontre quelques jours plus tard au Lapin Agile.
Il s’appelle Pablo Picasso et accueille à grands cris de joie ce premier acheteur qui fera dorénavant partie de l’équipe du Bateau-Lavoir. Toute la vie de Uhde déroule ainsi son fil, avec naturel et légèreté. Le premier, il collectionne Dufy, puis expose, seul aussi, le Douanier Rousseau, qu’il a découvert, et Marie Laurencin. Il achète les toiles cubistes de Picasso qui peint son portrait, se passionne pour Braque. Hélas ! En 1914, sa collection est confisquée par l’État français, et vendue ignominieusement aux enchères en 1921, à Drouot, comme celle de Kahnweiler, un peu plus tard. Qu’importe ! Il se lance dans la défense d’autres peintres français. En 1936, âgé de soixante ans, il rédige ces mémoires : « Y a-t-il une cohérence, une unité entre tout ce que j’ai ressenti, fait, et pensé ? Comme quelqu’un qui s’apprête à fermer boutique, je me suis mis à feuilleter le grand livre [...] pour voir, non si j’avais eu du succès et fait de bonnes affaires (hélas, je sais bien que ce n’est pas le cas), mais si j’avais été un honorable marchand. »
Le résultat est aujourd’hui sous nos yeux. Et l’on voudrait pouvoir dire à cet homme qui sera déchu de la citoyenneté allemande sans obtenir celle de la France, traqué par la Gestapo dès l’arrivée des nazis à Paris : « N’ayez crainte, Wilhem Uhde, vous avez été un honorable marchand. »
Wilhem Uhde, De Bismarck à Picasso, éd. du Linteau, 2002, 290 p., 29 euros.
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De Bismarck à Picasso
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : De Bismarck à Picasso