Daniel Birnbaum analyse des œuvres majeures.
« Comment puis-je dépasser cette idée de la linéarité […] ? Comment puis-je faire que le temps se comprime ou s’étire, et qu’il ne se déploie plus seulement de cette façon étroite ? » Ou comment représenter l’esprit humain, s’est demandé Daniel Birnbaum à la suite de l’artiste Eija-Liisa Ahtila. Les réflexions du critique d’art et philosophe, directeur de la Städelschule et du Portikus à Francfort, font l’objet d’une publication aux éditions Les Presses du réel et JRP|Ringier, inaugurant une collection dédiée aux écrits critiques. Chronologie se propose d’examiner, à l’aune de la phénoménologie – dont la validité des concepts quant à leur pure application ici est questionnée –, l’œuvre d’artistes ayant émergé dans les années 1990. Birnbaum livre ainsi des analyses brillantes, sensibles et fines des pièces de Stan Douglas (dans un chapitre intitulé « Syncope ») ; Ahtila (« Cristaux ») ; Darren Almond, Pierre Huyghe (« Décalage horaire ») ; ou encore Dominique Gonzalez-Foerster (« Rien »). Ces artistes, et quatre autres, ont, selon l’auteur, pour particularité d’élaborer de nouveaux modèles de narration, de laisser émerger des modes de temporalité, et ainsi de libérer des formes de subjectivité.
L’idée de présence à soi ou d’identité personnelle stable est mise à mal par les films de Douglas, dont l’action joue sur un principe de différé, ou ceux d’Ahtila (1) – avec les dissociations entre la voix et la bouche dans Me/We (1993). Les installations ultérieures de cette dernière, confrontant via plusieurs écrans récits fictionnels et documentaires, renvoient à divers niveaux de conscience, et leur caractère multidimensionnel dépasse ce que le spectateur peut embrasser d’un seul regard. La figure de Deleuze est fréquemment invoquée, pour le meilleur avec ses travaux sur le cinéma et l’usage du concept d’« image cristal », décrivant un temps qui se dédouble à chaque instant entre présent et passé. Birnbaum fait encore appel à la philosophie deleuzienne lorsqu’il pose la question de « ce qui vient après le sujet ». Car, dès lors que le sujet ne se caractérise plus par son individualité, il se manifeste comme une partie d’un réseau de flux et de pulsations dont l’installation Electric Earth (1999) de Doug Aitken fournit le paradigme. Au cours de cette déambulation urbaine nocturne, « les spasmes automatisés de l’environnement inorganique [lampadaire aveuglant, sac-poubelle tournoyant, antenne parabolique...] donnent l’impression de communiquer intimement avec les convulsions des diverses parties du corps du protagoniste ». Grâce aux progrès de la robotique, rappelle l’auteur, le son, la vision, les sensations kinesthésiques du corps peuvent être réduits à des signaux basiques : « Ainsi le corps humain comme dernier point de référence disparaît et un monde d’informations circulant librement est né. »
Suivra, contre toute attente, un regret avoué : certaines œuvres pourtant défendues par Birnbaum auraient recours à des technologies dépassées (la bande magnétique pour Tacita Dean, le piano mécanique pour Douglas, et de manière plus générale, le film plutôt que la vidéo ou l’image digitale), lui apparaissant de ce fait nostalgiques ! La démonstration s’achève sur une prophétie, avec – belle description du dispositif de Diamond Sea (1997, Aitken toujours) à l’appui –, l’annonce de l’arrivée d’un nouvel être, ni homme ni Dieu (Nietzsche et Deleuze, pour le pire cette fois).
(1) Eija-Liisa Ahtila, du 22 janvier au 30 mars 2008, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, tlj sauf lundi.
Daniel Birnbaum, CHRONOLOGIE, coéd. Les Presses du réel, Dijon/JRP/Ringier, 2007, 128 p., 11 euros, ISBN 978-2-84066-165-8
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Dans l’art du temps
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Dans l’art du temps