Un « beau livre » est habituellement un texte léger qui laisse la part belle aux images. Le dernier livre de Daniel Arasse est inhabituel : ses reproductions et sa maquette sont splendides et accompagnent néanmoins un livre d’histoire de l’art très ambitieux, aussi bien sur le plan des connaissances que sur celui de la méthode.
La démarche de l’auteur a ici un caractère expérimental puisqu’elle cherche toujours, dans l’œuvre elle-même, la démonstration de ses hypothèses. Il faut donc que l’objet de l’analyse soit reproduit au mieux, et c’est le cas dans cet ouvrage magnifique : « Les œuvres sont les documents de leur propre travail » écrit Arasse, et il le montre lorsqu’il reconstruit, œuvre après œuvre, le « problème artistique » de la rencontre entre le thème de l’Annonciation et la perspective italienne au début du Quattrocento. L’Annonciation n’est pas seulement le récit en image de l’annonce faite par l’ange à Marie. Elle implique aussi l’accomplissement du mystère de l’incarnation. Ce moment particulier où le Verbe se fait chair.
Le moment où l’incommensurable (Dieu) vient dans le mesurable (le corps de Marie). Comment alors le représenter à travers la perspective, cette forme symbolique du monde commensurable ? Les peintres qui répondent à ce défi le feront en élaborant tout un jeu d’impossibilités qui permettent de visualiser ce paradoxe. Le lecteur voit alors surgir un travail intellectuel « en peinture », fondé sur l’articulation de l’espace, sur la disposition réciproque des acteurs de la scène, sur la distribution des couleurs. Il voit le tableau « penser », ce qui est très rarement le cas dans les livres d’histoire de l’art traditionnels. Mais Daniel Arasse n’a pas limité sa recherche aux chefs-d’œuvre. Il analyse aussi de nombreuses œuvres plus banales, « de série », convaincu à la suite de Pierre Francastel, que « la série fait exister le prototype ».
On retrouve alors l’historien Arasse, attentif à la distribution géographique de ces Annonciations et à l’évaluation de leur portée dans le contexte de leur époque. Le schéma d’ensemble des reprises et des renvois dans l’espace comme dans le temps, entre les Annonciations italiennes aux XVe et XVIe siècles, apparaît sans doute pour la première fois de façon si nette. Conçu comme une conversation, et parfois comme une réponse aux travaux d’Erwin Panofsky, Hubert Damisch et Louis Marin, ce livre, véritable enquête palpitante, propose une expérience de lecture qui excite et l’œil et la pensée.
Daniel Arasse, L’Annonciation Italienne, éd. Hazan, 368 p., 695 F, ISBN 2-85025- 694-3.
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Daniel Arasse : L’Annonciation Italienne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°511 du 1 novembre 1999, avec le titre suivant : Daniel Arasse : L’Annonciation Italienne