Dans leur majorité, les arts plastiques sont muets. C’est d’autant plus vrai des grands classiques auxquels Julian Barnes accorde son attention dont les auteurs ont disparu et qu’aucun signe n’entoure.
La peinture nue, il y a comme une pièce manquante entre l’œuvre et l’œil qui appelle l’amateur et lui imprime son pouvoir d’attraction. Un mystère est couché sur la toile. Flagrant, indécent et muet, il n’est pas sans susciter le commentaire des spectateurs, à tel point qu’il est raisonnable de se demander si une grande ambition de l’art lui-même, sous le masque de l’expression émotive, n’est pas, avant tout, de faire gloser. C’est dans le lieu de cette rencontre, dans cet interstice silencieux et vide que la critique d’art prend sa source, et si Braque pensait, presque à regret, que « l’idéal serait atteint quand on ne dirait plus rien devant un tableau », on peut constater qu’au-delà de la béatitude, c’est bien de cette vacuité même que naît tout un foisonnement de vie, notamment artistique. Sous bien des aspects, le travail du critique consiste à guider dans cet espace le regard et l’esprit, à former du trajet vers l’œuvre un récit. Il n’est pas rare à cet effet qu’on surprenne à travers l’histoire de grands romanciers y déployer leur art. Les textes de Barnes, réunis dans Ouvrez l’œil, s’inscrivent dans cette lignée. Récits narratifs qui se mêlent d’incursions fictionnelles émaillées d’anecdotes sur la vie des artistes et les conditions de leur époque, ils utilisent la tournure souvent humoristique qui fait sa marque et suscite attrait, adhésion, émotion et aiguise la réflexion, sous la forme d’unités de lecture compactes et homogènes. Un élément concentré dans le propos ou dans les personnages pose l’intrigue, évolue et se résout. C’est ainsi l’ensemble des codes de la nouvelle romanesque – outil privilégié pour interroger notre monde et nous-mêmes – qui est employé pour en composer un objet littéraire particulier, concordant à faire de chacune de ces chroniques le roman d’un artiste, d’une création, et à tirer la critique vers le rang de genre à part entière.
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Critique d’art, le roman d’un style
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Cet article a été publié dans L'ŒIL
n°710 du 1 mars 2018, avec le titre suivant : Critique d’art, le roman d’un style