Un ouvrage édité par les Beaux-Arts de Paris explore l’usage du son dans les pratiques artistiques tandis que deux audiolivres, dont l’un signé Loris Gréaud, paraissent dans la collection « ZagZig » des éditions Dis Voir.
.De spéculations en controverses, de perceptions en expériences, les idées sur l’image, sur la diversité des images, platoniquement méprisées, iconiquement adulées, nourrissent des pages de bibliographie et forment des théories, auxquelles art et artistes puisent selon les besoins. Les images ont en plus cette qualité de durer – pas toutes, heureusement, et sans doute de moins en moins au fur et à mesure qu’il s’en produit, qu’il s’en diffuse, qu’il s’en archive. Mais il n’y a pas d’équivalent de l’art pariétal pour le monde sonore, malgré la fameuse rêverie de Rabelais, au Quart Livre, quant aux paroles gelées. Depuis qu’on l’enregistre (et, avant, depuis qu’on l’écrit), le son a rejoint le monde non pas seulement du sens – il en est substantiellement partie prenante –, mais de la représentation – et là, l’affaire se complique. Comment aborder en effet toute tentative de situer, de construire, d’étayer les usages de la matière sonore dans les pratiques artistiques contemporaines ? Constater la progression de sa présence tient désormais du lieu commun, numérique aidant. Mais de quoi parle-t-on finalement ? de la musique, du bruit, du son ? Et la voix, et le silence lui-même… Comment aborder, tenter d’approcher, de cerner, de décrire cette réalité artistique aussi évidente que polymorphe, aussi manifeste que dispersée ? Au volume qui paraît aux éditions des Beaux-Arts de Paris, sous le titre Une idée du Nord…, son auteure ajoute un sous-titre plus explicite : « Des excursions dans la création sonore contemporaine ». Prudemment, en effet, car Pascale Cassagnau, critique d’art et responsable des collections audiovisuelles et nouveaux médias au CNAP (Centre national des arts plastiques), n’a pas ici le projet de fournir une synthèse théorique de la création contemporaine. Elle part plutôt de sa fréquentation assidue des artistes actifs pour faire un relevé de cas, de situations, d’œuvres et de propositions, d’informations historiques et de références sur un champ très large de la création sonore.
178 chapitres
Le volume et ses quelque cinq cents pages est constitué de cent soixante-dix-huit chapitres singulièrement rédigés comme des notes, souvent sans autre forme de souci d’écriture qu’une accumulation de descriptions, de citations, d’extraits d’entretiens, de remarques, de références, au risque d’une succession dont il n’est pas toujours aisé de mesurer l’importance. L’imaginaire littéraire y a sa place, comme la performance, le cinéma, le concert, la radio, ainsi que des formes tant canoniques qu’expérimentales de la musique.
L’histoire des techniques vient à l’appui ici ou là, la réflexion philosophique souvent aussi, avec la présence récurrente en particulier de Michel Serres, mais aussi d’un John Cage, Michael Snow ou La Monte Young. Un index permet de tracer d’autres chemins de lecture, mais on regrette presque qu’il se limite aux noms propres et laisse de côté notions ou techniques. De même les références bibliographiques sont-elles dispersées au fil des chapitres, complétées de références sur Internet : leur regroupement en aurait simplifié l’usage. Le chemin de lecture, pour profitable qu’il soit, n’est pas facile : au lecteur de l’inventer, car il s’agit en somme d’une boîte à outils très bien remplie. Pourtant la prétention à l’exhaustivité, revendiquée en préface, est plus qu’imprudente de la part de l’éditrice (qui aurait mieux fait de l’appliquer à la chasse aux coquilles), car l’incomplétude est inscrite dans l’idée même d’excursion. Bien équipée, celle-ci vaut l’effort qu’elle demande.
Dans le cerveau de Gréaud
Le livre n’est décidément pas le dernier lieu pour entrer dans la sphère de la création sonore. La collection « ZagZig », conduite aux éditions Dis Voir par Frank Smith et Philippe Langlois, longtemps producteurs de l’Atelier de création radiophonique sur France Culture, vient le rappeler avec deux nouveaux titres, toujours accompagnés de DVD. Le groupe Winter Familly, sous le titre No World, y donne la version sonore d’un spectacle qui met en œuvre la surabondance d’informations de notre condition technologique dans un montage, une compilation faite, comme le décrit Pascale Cassagnau en parlant d’autres pièces, d’« éléments compilés ready-made [provenant] de sources d’information diverses, sample, réappropriation, détournement d’enregistrements, récupération de sons et de musiques, téléchargements (p. 525) » : soit 48 minutes de saturation informationnelle de la sphère publique accompagnées par la soixantaine de pages d’images relevant des mêmes gestes.
Mais on retiendra surtout la pièce de Loris Gréaud, lequel sait être parfois bruyant voire tapageur, dans le volume intitulé Crossfading et ses pages reproduisant l’imagerie médicale (IRM). Radical comme souvent, il y fait entendre l’enregistrement de l’activité de son cerveau, qui constitue une sorte de drone électronique (son continu sur une note ou un accord tenus), à écouter au casque pour rentrer dans cette étrange matière faite d’organicité et de machinerie. L’exercice d’écoute y est troublant, discret, cette fois au contraire étrangement intime.
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Création sonore - À bon entendeur…
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Abonnez-vous dès 1 €Pascale Cassagnau, Une idée du nord. Des excursions dans la création sonore contemporaine, Éditions Beaux-Arts de Paris, 2014, 542 p., 20 € Loris Gréaud, Cross Fading, Paris, éditions Dis Voir, coll. « ZagZig », 2015, livre DVD, 64 p., 29 € ; Winter Family, No World, Paris, éditions Dis Voir, coll. « ZagZig », 2015, livre DVD, 64 p., 29 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : Création sonore - À bon entendeur…