Le peintre ostendais Léon Spilliaert est à l’honneur en ce tournant d’année, avec l’exposition « Lumière et solitude » que lui consacre le Musée d’Orsay, ainsi que la parution de deux beaux livres à son sujet : Être moi toujours plus fort de Stéphane Lambert, édité chez Arléa, et Léon Spilliaert d’Eva Bester, édité chez Flammarion.
Une soudaine mise sous les projecteurs d’un chantre de la noirceur qui nous pousse à découvrir les pans souvent oubliés de son œuvre sous un angle tendre et consolateur. Naviguant dans ses scènes et ses paysages, entre autoportrait imagé et projection d’intériorité, il n’y a jamais rien d’allégorique ni de forcé chez Spilliaert mais une tendresse assumée qui se transmet et enveloppe son spectateur. Un contact direct avec le gouffre de l’âme qui fait l’un des ferments de notre humanité. Une communauté de bien, qu’on affleure aux derniers instants de toute lumière. La transfiguration d’une éclipse qui, même dans la torpeur et même dans l’effroi, nous rappelle que le fond de la tristesse, et toute sa valeur humaine, est d’être douce et chaude à l’intérieur. L’approche d’Eva Bester n’est pas tant de s’y lover que de s’y reconnaître, souvent avec humour, clins d’œil décalés, comme si elle nous conviait à visiter sa propre intériorité, à nous laisser conduire dans la nuit, guide touristique d’un voyage en funambule allègre au-dessus des précipices, pour ne pas y sombrer. Car, depuis l’étrange beauté des abysses et leur spectacle spectral, le romantisme happe. Seul propre à transformer les solitudes désolantes en leur procurant une noblesse démesurée, il en deviendrait intentionnel, étendard des émotions extraordinaires. Des ténèbres nous monte alors un écho – « l’abîme te regarde aussi », nous revient-il de Nietzsche –, et, dans l’effort porté à en surfer l’emprise, Eva convoque des alliés. Munch, Baudelaire, Poe, Lautréamont… qui, loin de susciter en nous l’absence de présence et de sens, sont aux côtés de Spilliaert pour témoigner aimablement : tant que nous sentons dans notre chair ensemble ce même vide, à travers l’espace et à travers le temps, nous sommes bien vivants et nous sommes connectés.
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Chauffer dans la noirceur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°740 du 1 janvier 2021, avec le titre suivant : Chauffer dans la noirceur