Ce livre, Francesca Pollock le portait en elle depuis quinze ans ; elle l’a écrit d’un seul élan.
Psychanalyste, traductrice – notamment de textes sur le cinéma –, la fille de Charles Pollock signe ici un récit à la première personne ponctué d’apartés adressés à son père, dont elle constate : « Ce que j’ai le mieux connu de lui, c’est son silence. » Charles Pollock (1904-1988) avait 64 ans lorsqu’elle naît ; quatre ans plus tard, la famille part s’installer à Paris. C’est à l’école, enfant, qu’elle apprend qu’il existe un autre Pollock, le cadet, célèbre des deux côtés de l’Atlantique. Trop jeune pour questionner son géniteur à ce sujet, elle reste, après la mort de cet homme taciturne, taraudée par une question : pourquoi a-t-il si peu montré sa propre peinture ?
Avec sa mère, Sylvia, Francesca Pollock entreprend alors d’exhumer, de restaurer et de documenter l’œuvre que personne ou presque, n’a encore vu en France. La découverte des toiles entreposées à New York depuis des décennies constitue un « choc émotionnel ». « Pour moi, il y avait urgence à tâcher de faire connaître cet œuvre resté trop longtemps confidentiel, urgence à le montrer », relate-t-elle. Classiquement passé de la figuration à l’abstraction, l’artiste américain s’est épanoui à travers son exploration de la couleur, dans la veine des Rothko, Motherwell et Newman, « ses amis », comme souligne sa fille.
Persuadée de l’importance du corpus qui se dévoile progressivement à elle, Francesca Pollock obtient bientôt la confirmation de sa valeur esthétique. La rencontre avec Maurice Benhamou a lieu en 2019. Le critique d’art s’émeut devant les toiles de l’Américain, dont il ressent la force. Une exposition suit rapidement à la galerie ETC, ouverte à Paris par son petit-fils, Thomas Benhamou. Pour Francesca Pollock, ce regard sur les archives de son père vaut autant caution que révélation. « Maurice Benhamou se demandait si [Charles Pollock] s’était volontairement tenu à l’écart, et si oui quelle pouvait bien être la raison d’un tel sacrifice. » Grâce à ses questions, elle comprend que son père s’est sciemment effacé. Et que c’est Jackson, devenu un artiste mondialement connu, qui lui a en quelque sorte interdit de s’affirmer en tant que peintre. « Il t’a supprimé », conclut-elle, qualifiant l’égocentrisme du cadet de « révisionnisme ». On savait Jackson Pollock tourmenté, il apparaît, dans ce scénario, hautement toxique.
Cependant, la réhabilitation de Charles Pollock se double moins d’une entreprise de démolition d’un mythe que d’une possibilité de cohabitation posthume. Un nouveau partage des territoires ? C’est ce que suggère l’analyse de Maurice Benhamou : « La consistance, la densité, la fixité, l’énergie, ce que l’on pourrait appeler “la temporalité de la peinture”, cela devient l’affaire de Charles […]. La fluidité, l’étirement, le dynamisme, le vertige, c’est-à-dire “l’espace de la peinture”, la part de Jackson.» Avec ce livre, Francesca Pollock ne réécrit pas l’histoire de l’art, mais elle l’éclaire d’un jour nouveau.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Charles Pollock, le frère sacrifié de Jackson
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Charles Pollock, le frère sacrifié de Jackson