Cinéma - Le peintre Caravage fait actuellement l’objet d’un accrochage au Musée des beaux-arts de Rouen.
Milo Manara a retracé sa vie en bande dessinée, sous la forme d’un diptyque. En 2019, Yannick Haenel lui a consacré un récit intitulé La Solitude Caravage, une vingtaine d’années après le roman de Dominique Fernandez, La Course à l’abîme. Au cinéma, il fut le héros d’un premier biopic de Goffredo Alessandrini dès 1941. En 1986, Caravaggio de Derek Jarman déployait une vision quasi psychédélique de la vie du peintre et offrait à Tilda Swinton son premier rôle à l’écran. Caravage fascine par sa vie autant que par son œuvre, car sa vie ressemble à son œuvre : inquiétante et torturée. Et c’est exactement ainsi que Michele Placido a décidé de l’adapter. Caravage, dont le titre italien signifie littéralement « l’ombre du Caravage », part d’une situation fictive. En 1609, le pape Paul V apprend que le peintre (Riccardo Scamarcio) emploie des prostituées comme modèles pour les tableaux de scènes bibliques qu’il vend au Vatican. Il envoie sur ses traces un sbire surnommé l’Ombre (Louis Garrel) chargé d’enquêter sur les mœurs de l’artiste. Du rapport de l’Ombre dépendra le sort du peintre qui, accusé de meurtre à Rome, a demandé la grâce de l’Église.Beau gosse, yeux cernés de nuits agitées, mèches indisciplinées : Michele Placido filme Caravage comme une rock star – « Caravaggio » est aussi le nom d’un groupe expérimental français.
Nous sommes dans la Naples du XVIIe siècle, on pourrait être à Manhattan dans les années 1970. Même la bande-son joue volontairement la carte de l’anachronisme. Le film est à ce titre un peu poseur et volontiers mégalo, rappelant Freddie Mercury dans un stade. Cependant, à travers cette mise en scène, Caravage raconte la place de l’artiste. La rock star, comme le Christ en croix, se place en hauteur dans la nef de la scène. Elle est une figure divine à portée des mains qui se tendent. En peignant des prostituées en madones, Caravage s’ancre lui aussi à mi-chemin entre profane et sacré ; il noue le lien entre le ciel immaculé et la lie de l’humanité des bas quartiers. Le casting joue de ces échos entre des mondes a priori irréconciliables.
Caravage travaille sous la protection de la puissante Costanza Colonna et prend pour muse Anna Bianchini, une fille des trottoirs de Rome. Or Michele Placido a donné le rôle de la marquise à Isabelle Huppert et celui de la prostituée à sa fille Lolita Chammah, dont la chevelure rousse tranchera le noir épais pour maculer l’écran de violents contrastes caravagesques.
À 76 ans, Placido a tracé un trajet fort singulier. Ancien flic des rues de Rome, il s’est élevé sur les scènes de théâtre à partir des années 1970, puis sur les écrans de télé et de cinéma avant de se glisser derrière une caméra au début des années 1990. Avant Caravage, il a filmé des malfrats dans Romanzo criminale (2005) et Le Guetteur (2012), ou encore le destin de l’assassin mafioso Renato Vallanzasca dans L’Ange du mal (2010). Placido est donc, lui aussi, ce voyageur qui vogue des caniveaux aux tapis rouges. Pourquoi ? « Je cherche le réel », aurait publiquement déclaré Caravage au cours d’un procès.
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« Caravage » le peintre en rock star
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°760 du 1 décembre 2022, avec le titre suivant : « Caravage » le peintre en rock star