Binet - Les Bidochon squattent au musée !

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 15 décembre 2015 - 1037 mots

Binet emmène pour la troisième fois ses deux anti-héros au musée, où ils se lâchent devant les toiles de peintres connus et inconnus qui font tous partie du goût du dessinateur.

Né à Tulle en 1947, Christian Binet, le célèbre père des Bidochon (7 millions d’exemplaires vendus), fait paraître chez Fluide Glacial
Un 3e jour au musée avec les Bidochon. Depuis 2013, Raymonde et Robert squattent les institutions : après les Musées des beaux-arts de Lyon et de Caen (les deux premiers tomes), les voilà qui visitent, en nous offrant des commentaires savoureux sur les œuvres croisées, les allées du Louvre, d’Orsay, de la Tate Gallery et autres. C’est pour L’Œil l’occasion d’interroger le dessinateur de BD, passionné par la peinture et la musique classique, sur son rapport à l’histoire de l’art et à la pratique muséale.

L’œil C’est le troisième Un jour au musée avec les Bidochon, sachant que les deux premiers tomes (2013, 2014) se sont déjà vendus chacun à 12 000 exemplaires. Comment vous est venue l’idée de faire des Bidochon des arpenteurs de musées ?
CHRISTIAN BINET
Ça a démarré par la musique classique, c’est une histoire à ricochets. J’avais fait le premier tome de Haut de gamme (2010, Dargaud) sur la musique classique, avec en page de garde l’une de mes compositions. Gilles Treille, chef d’orchestre de l’Ensemble Opus 14 de Caen, m’a alors contacté pour jouer le quintet que j’avais composé. Son orchestre l’a interprété dans un festival à Deauville puis au Musée des beaux-arts de Caen. Profitant de mon passage, l’équipe du musée m’a proposé de choisir dix tableaux et de faire le parcours avec le conservateur, dans l’idée d’organiser une « visite à deux voix ». Je leur ai proposé de faire de petits panneaux avec les Bidochon faisant des réflexions sur les peintures de mon choix. Ils ont collé ça sur les murs, à côté des œuvres, et ça a très bien marché : les gens s’amusaient tout en s’instruisant. Après, on a refait ça à Lyon et, comme la formule plaisait, on s’est dit que ce serait marrant d’en faire un bouquin, c’est comme ça qu’est né Un jour au musée.

Dans votre dernier livre, les Bidochon font des remarques très drôles sur les œuvres signées Cranach, Dewasne, Freud… Robert se lâche !
Devant un Jordaens représentant une famille anversoise très animée (Les jeunes piaillent
comme chantent les vieux, 1638-1640), il déclare : « Vaut mieux pas les avoir comme voisins !
 
Voulez-vous vous moquer des beaufs ? Ou, paraphrasant Flaubert, « Les Bidochon, c’est vous » ?

Les Bidochon ne sont pas des beaufs. Le beauf, c’est le personnage de Cabu, il est bête, raciste, il vote Front national. Robert et Raymonde, ce sont des figures ordinaires, alliant bonté et méchanceté. Raymonde a conscience d’être limitée, pas Robert. Lui, il n’a pas de « surmoi », il a tendance à dire ce qu’il pense, même s’il pense une grosse bêtise. C’est un macho à l’ancienne, il veut faire croire qu’il sait tout. Ce ne sont pas des idiots, juste des Français moyens, râleurs, franchouillards et qui veulent être comme tout le monde. Ils se veulent modernes, dans le coup, donc ils ont Internet et vont au musée. En fait, ce sont surtout des gens manipulés. En ce sens, les Bidochon, c’est moi, c’est vous, ce sont nos voisins, c’est Monsieur tout le monde, c’est Monsieur Jourdain. Il y a en moi certainement un côté Bidochon, dans l’idée que, parfois, je peux agir comme eux et me faire piéger.

Êtes-vous de l’avis des frères Goncourt qui déclaraient : « Ce qui entend le plus de bêtises dans le monde est peut-être un tableau de musée » ?
Ça dépend des gens eux-mêmes, de qui regarde. Certains, qui n’ont pas de culture, veulent faire croire qu’ils en ont. Il y a aussi les cuistres, qui tiennent un discours abscons auquel on ne comprend rien. Puis il existe des personnes, sans grandes connaissances, qui peuvent avoir une bonne approche. Bien sûr, la peinture est intellectuelle, mais elle est aussi couleurs, formes et rythme. Dans les musées, j’ai déjà vu des gens, dits simples, fascinés par les tableaux ; de temps en temps, on croise des enfants, ils courent dans les allées et, soudain, l’un se plante devant un tableau, comme s’il était littéralement happé par une œuvre. Les comportements des gens me donnent des idées. Certaines attitudes sont parlantes. Ce qui m’importe, ce n’est pas tant ce qu’ils disent que leur comportement. J’ai appris mon métier avec Molière ou Feydeau. Les Bidochon, c’est du théâtre, une succession d’attitudes et de dialogues qui doivent fonctionner comme un mouvement d’horloge.

Dans Un 3e jour au musée, où vos dessins jouxtent vingt peintures éclairées par les commentaires de Patrick Ramade et de Pierre Lacôte, conservateurs aux Musées des beaux-arts de Caen et de Lyon, le lecteur croise aussi bien de grandes signatures, tels Rembrandt et Velázquez, que des noms plus confidentiels, voire inconnus : Jules Louis Rame, Ferrabosco, Salvator Rosa… Pourquoi ?
Parce que ce sont mes goûts et que la célébrité du peintre ne fait pas tout. Robert et Raymonde, comme moi, s’arrêtent devant ce qui les titille, cela peut être une œuvre d’une célébrité ou celle d’un peintre moins connu, dont le travail est tout aussi remarquable. Je fonctionne au coup de cœur : un tableau me plaît, je ne me soucie pas de la cote de l’artiste. Et cela permet aussi d’emprunter des chemins de traverse.

Pas de Joconde ici et, même quand on choisit un grand nom tel Manet, on ne prend pas de lui un tableau très connu.
Dans les trois tomes, on y trouve Bacon, Brueghel, Rembrandt, Schiele ou Soulages parce que je les admire. J’aime dans une œuvre sentir la main, le crayon, la matière. Mais vous n’y trouverez pas, par exemple, un Dalí, dont la facture léchée m’indiffère, ou un Warhol, dont les œuvres me font penser à des posters de chambres d’hôtel.

Y aura-t-il un « 4e jour au musée » ?
Si le troisième marche, oui ! Et, puisque Raymonde Bidochon et son mari ont découvert les musées sur le tard, ils veulent rattraper le temps perdu, aussi on ne les arrêtera pas !

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°686 du 1 janvier 2016, avec le titre suivant : Binet - Les Bidochon squattent au musée !

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