Cinéma

(Au)revoir Kiarostami

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 24 mars 2020 - 567 mots

Centre Pompidou  - Au printemps 2016, dans une chambre d’hôpital, Abbas Kiarostami achève 24 Frames.

Son œuvre ultime se compose d’une collection de plans fixes : paysages, animaux et rares personnages. Le film commence par ce carton : « Je me suis toujours demandé dans quelle mesure l’artiste cherche à décrire une scène. Les peintres capturent seulement un fragment de réalité, sans rien avant ni après. Pour 24 Frames, j’ai commencé par des tableaux célèbres, mais je suis ensuite passé aux photos que j’avais prises depuis des années. J’ai ajouté à chacune environ quatre minutes et demie de ce que j’ai imaginé pouvoir s’être passé avant ou après chacune des images que j’avais prises. »24 Frames s’ouvre par un tableau de Brueghel l’Ancien, Chasseur dans la neige. Soudain, voilà que l’image s’agite. La cheminée tire de la fumée, les corbeaux se mettent à voler… et un chien vient pisser le long d’un arbre. Clin d’œil amusé, le premier « plan » (frame, en anglais) met en place la danse qui suivra. Le cinéaste iranien va animer ses photographies, les enluminer de sons ou de musique. Ces plans racontent des historiettes, tels des haïkus, qui captent quelques secondes du mouvement de la vie : un troupeau de vaches sur une plage, un groupe de visiteurs regardant s’allumer la tour Eiffel… À travers ces scènes, Kiarostami raconte son travail de cinéaste. Animé, sonorisé, le tableau s’ouvre à l’infini du hors-champ, à la possibilité d’un surgissement, à tous les imprévus, à commencer par la mort : une mouette ou une biche tombe sous le feu de la carabine, un chat se jette sur un oiseau…24 plans donc comme les 24 images qui forment une seconde de film. Parfois, ces « plans » s’enchaînent. Si le mouton mort du « plan 10 » est bien celui que les loups dévorent au « plan 11 », alors les deux frames forment une « séquence ». Le spectateur se sent également libre de construire son propre puzzle à partir des fragments légués par Kiarostami. De faire, par exemple, rimer la chanson du plan 15 avec la plage du plan 22 : « Et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis. » « Chaque individu, en regardant un film, crée son propre monde », disait le cinéaste. « Ses films sont volontairement ouverts, laissant à chaque spectateur l’espace pour les compléter selon ses propres désirs, rêves, opinions, angoisses… », écrivent Agnès Devictor et Jean-Michel Frodon dans Abbas Kiarostami. L’œuvre ouverte, monographie très complète qui vient de paraître chez Gallimard. Si l’œuvre est ouverte, la vie elle-même doit bien se terminer. Le titre l’annonce : le 24e plan sera le dernier. Celui de l’au revoir. En noir et blanc, une fenêtre immense ouverte sur le monde, la majesté d’une forêt dans la brume. Devant, un écran d’ordinateur. Dans ce cadre dans le cadre, un minuscule baiser de cinéma : l’épilogue des Plus belles années de notre vie de William Wyler. Sur la table, une paire de lunettes et une jeune fille endormie, la tête dans les bras. De quels frames son rêve est-il tissé ? La bande-son enveloppe le 24e plan de la chanson titre de la comédie musicale Love Never Dies : « La vie peut s’écouler, l’amour vit toujours. » Et l’on repense à l’œuvre immense d’Abbas Kiarostami qui lui survit encore aujourd’hui. Aux quatre vers que le cinéaste jeta un jour sur son carnet :Je suis venu avec le ventAu premier jour d’étéLe vent m’emportera Au dernier jour d’automne.

À savoir
Abbas Kiarostami (1940-2016), réalisateur du Goût de la cerise (Palme d’or 1997),Au travers des oliviers (1994), Où est la maison de mon ami ? (1987)… était aussi photographe, vidéaste, poète. Le Centre Pompidou s’apprête à proposer une rétrospective complète de ses films et l’exposition « Où est l’ami Kiarostami ? » pour redécouvrir son œuvre photographique. Dates à confirmer, www.centrepompidou.fr.

À noter la ressortie prochaine en salles de 10 films et 7 courts métrages. Et la ressortie en coffrets DVD/Blu-ray de 18 courts et longs métrages (Ed. Potemkine).

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°733 du 1 avril 2020, avec le titre suivant : (Au)revoir Kiarostami

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