Dernier coup d’éclat dans l’histoire longue et ô combien controversée du Jardin à Auvers de Van Gogh, que le banquier Jean-Marc Vernes devait proposer en dation à l’État : le tableau, en raison des sérieux revers de fortune de son propriétaire, sera remis en vente chez Me Tajan.
PARIS. Une toile qui a déjà coûté 145 millions de francs au contribuable et modifié la politique des musées en matière de classement, plus un chef-d’œuvre d’ébénisterie XVIIIe siècle : parmi les quatorze objets de la collection du banquier Jean-Marc Vernes, récemment décédé, qui figureront dans les ventes de mobilier et de tableaux organisées par Me Jacques Tajan à l’Hôtel George V les 9 et 10 décembre, ces deux œuvres ont une importance, à la fois artistique et patrimoniale, qui dépasse de très loin les autres.
Acheté 55 millions de francs en vente publique chez Me Binoche en décembre 1992, Le Jardin à Auvers de Van Gogh s’est trouvé au cœur d’une longue bataille juridique jusqu’en février, lorsque l’État s’est vu condamné à payer 145 millions de francs à son ancien propriétaire, Jean-Jacques Walter. Celui-ci était ainsi indemnisé pour la perte de valeur subie par le tableau du fait de son classement en 1989 comme monument historique, qui empêchait sa vente sur le marché international. Le jugement, qui constitue une première par l’ampleur des sommes en jeu, continue à inquiéter au plus haut point la Direction des Musées de France. Peint par Van Gogh en juillet 1880, dans les derniers jours de sa vie, Le Jardin à Auvers aurait dû faire l’objet d’une dation en lieu de droits de succession ; tel, en tout cas, était le vœu exprimé par Jean-Marc Vernes lui-même, immédiatement après la vente de 1992. Or le banquier n’a rien fait par la suite pour formaliser ce souhait. Les contacts pris par la Direction des Musées de France avec ses héritiers, notamment au printemps dernier, n’ont également donné lieu à aucune procédure de dation – ce qui laisse supposer que l’immense fortune de Jean-Marc Vernes a essuyé de graves revers dans les opérations qui avaient émaillé la fin de sa carrière.
Le mariage de Marie-Antoinette
Ajoutant à l’odeur de soufre planant autour du Jardin à Auvers, son authenticité, pourtant solidement établie, a même été mise en question récemment par deux amateurs d’art, dont les accusations ont été réfutées par les experts consultés par l’Étude Tajan, qui estiment cette fois le tableau entre 40 et 50 millions de francs.
Selon certaines informations, l’État ne songerait pas à exercer son droit de préemption sur le Van Gogh et à alourdir ainsi la facture, déjà embarrassante, de 145 millions de francs. Reste à savoir si les musées se porteront acquéreurs de l’autre objet phare de la collection Vernes, un coffre à bijoux créé en 1770 par Martin Carlin pour le mariage de Marie-Antoinette avec le futur roi Louis XVI et destiné – comme l’atteste une marque au feu, "GR/W – à meubler le château de Versailles. En placage de bois de rose marqueté de feuilles, ornée de neuf plaques de porcelaine de Sèvres, cette pièce est l’un des derniers chefs-d’œuvre de l’ébénisterie de l’Ancien Régime. Acquis par le financier américain Roberto Polo, le coffre a été adjugé 23 millions de francs par Me Jacques Tajan à Jean-Marc Vernes en novembre 1991. Selon le commissaire-priseur, qui espère en obtenir entre 18 et 20 millions de francs, ce dernier souhaitait également le proposer en dation à l’État.
Jean-Marc Vernes avait commencé très tôt à collectionner l’art – sa première acquisition, à l’âge de vingt ans, avait été un dessin de Picasso. Dans la vente de Me Tajan figurera Le Banquier d’Édouard Vuillard, sujet approprié s’il en est, estimé entre 1,5 et 1,8 million de francs, Le retour des Terres–Neuvas de Boudin, estimé entre 350 000 et 450 000 francs, six toiles de Bernard Buffet, et Lailla, un tableau de Kees van Dongen de 1908, anciennement dans la collection Roberto Polo, estimé entre 3,5 et 4,5 millions de francs.
Parmi les meubles de la collection Vernes, signalons une commode en laque Louis XV, estampillée Mewesen, estimée entre 1,2 et 1,5 million de francs, ainsi qu’une console galbée, époque Régence, attribuée à N. Pineau, dont l’estimation est de 800 000 à 1,2 million de francs.
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Vernes : collection à l’encan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : Vernes : collection à l’encan